Les leçons d'un scandale sans précédent
De l'argent, de la drogue et des bijoux ont été trouvés chez les policiers ripoux de la BAC. Désormais le chiffre de vingt agents corrompus, à des degrés divers, circule.
L'affaire des ripoux de la BAC des quartiers nord plonge le nouveau ministre de toutes les polices dans l'envers du décor de sa grande maison. Mais il a pris ses fonctions en assumant déjà une décision discutable: le préfet Alain Gardère, qui, par son opiniâtreté, a permis de révéler de bien mauvaises pratiques, pour qu'elles soient sanctionnées, a été muté à peine François Hollande élu. Son crime: il était réputé proche de Nicolas Sarkozy… L'idéologie est le premier mal qui sape les fondements de l'organisation policière. Elle se singularise depuis 1981 par une «chasse aux sorcières» qui s'est perpétuée comme une tradition républicaine à chaque alternance.
La réponse de l'État à Marseille manque singulièrement de constance. Depuis 2002, pas moins de six préfets de police envoyés par Paris pour remettre bon ordre dans la ville se sont succédé. Certains n'ont pas duré huit mois, comme le préfet Gilles Leclair, qui avait supervisé en 2010 une première opération «mains propres», avant que Nicolas Sarkozy, mal conseillé, ne le sabre à la première difficulté. Leclair avait le grand tort de ne pas être un sarkozyste du premier cercle… Et c'est le second mal qui affecte la police: elle est devenue une mosaïque de clans qui gaspillent beaucoup d'énergie à se combattre.
Des brebis galeuses
L'enquête sur le scandale qui vient d'éclater fera date. Jusqu'alors, quand les hauts fonctionnaires envoyés par Paris s'étonnaient des rumeurs récurrentes sur la vénalité de certains agents, les chefs de police locaux leur riaient au nez et concédaient à peine l'existence d'une ou deux brebis galeuses dans leurs services. Cette fois, la preuve judiciaire, filmée, enregistrée, leur est apportée que les brebis galeuses vivaient en troupeau. Elles ont mis en place un système. Sous leurs yeux!
Marseille est-elle un cas isolé? L'affaire Neyret, à Lyon, et bien d'autres encore, de Lille à Paris, attestent que plus aucune métropole n'est épargnée par ces dérives. Mais la Cité phocéenne demeure un cas à part. Dans cette ville, le maire, qui refuse d'armer sa police municipale, fustige les propos d'une élue socialiste des quartiers nord, Samia Ghali, parce qu'elle avait réclamé l'intervention de l'armée pour mettre un terme aux trafics et à la violence. Mais à qui peuvent se fier les habitants si des policiers censés les protéger se comportent comme des voyous?
Les syndicats locaux de police - et ils sont puissants à Marseille - ont profité de toute cette agitation pour réclamer des effectifs supplémentaires. Qu'ils ont obtenus de Manuel Valls. Et pourtant, dans une enquête publiée en 2008, Le Figaro avait révélé qu'avec un quart d'agents de plus qu'à Lyon, la police marseillaise élucidait un tiers d'affaires en moins. Elle affiche aussi un taux de congé maladie anormalement élevé. Aujourd'hui, la justice lève le voile sur des pratiques beaucoup plus graves.
Marseille ne souffrait pas d'un problème d'effectifs. Tous les préfets qui y ont servi le savent. Pour l'hôte de Beauvau, cette crise peut constituer un levier. Une occasion inespérée pour mettre toute la police marseillaise au travail, en insistant plus que jamais sur la déontologie.
Le Figaro.fr