La vérité des chiffres
Est-ce que les Sénégalais meurent plus à cause de la pandémie ? Loin des commentaires, ‘’EnQuête’’ livre les vérités de certains cimetières et centres d’état civil à Dakar, Thiès et Touba considérées comme les épicentres du coronavirus.
Hall de la mosquée du cimetière musulman de Yoff. Une foule d’hommes est assise, en attente d’un corps. Au bout de quelques minutes de patience, ils sursautent à la vue d’un corbillard sur lequel on peut lire : ‘’Ville de Yoff’’. Le véhicule vient franchir la porte du cimetière suivi du cortège qui presse le pas.
A des intervalles assez réguliers, la scène se reproduit. Pendant que les uns sortent après avoir accompagné leurs morts à leurs dernières demeures, d’autres arrivent pour accomplir le même rituel. ‘’C’est ainsi jusqu’à 19 h’’, renseigne l’adjoint au gestionnaire du cimetière, El Hadj Abdoul Aziz Dièye. Pour lui, il n’y a pas de doute, la Covid-19 a provoqué une hausse importante des inhumations dans ce cimetière. ‘’C’est évident que le coronavirus a influé sur les enterrements. Maintenant, nous avons jusqu’à 20 inhumations par jour. En 2019, et durant les moments de répit, nous avions en moyenne entre 7 et 8 morts par jour’’, renseigne-t-il avec assurance.
Il est 16 h passées de quelques minutes. Le registre en est à 15 enterrements, selon l’adjoint au gérant. Pour sa part, le gestionnaire du cimetière, Ibrahima Diassy, fait état d’une moyenne de 20 morts par jour, soit le double qu’en temps normal.
Autre endroit, même constat. Au cimetière Saint-Lazare, le nombre d’enterrements a sensiblement augmenté en 2020 par rapport à 2019, selon le gérant Habib Sagna. Concrètement, les chiffres font état de 610 enterrements l’année dernière, soit 130 de plus qu’en 2019 où l’on a dénombré 480 morts. Mais, par rapport à 2018 (560 enterrements), la hausse est beaucoup moins importante. Elle est chiffrée à 50 seulement. Le gérant témoigne : ‘’Je pense que le coronavirus a eu un impact non-négligeable sur la mortalité. Bien qu’il ne faut pas non plus éluder que les décès peuvent également avoir pour cause d’autres pathologies.’’
Trouvé en plein besogne au fond du cimetière, le fossoyeur I. W. N. abonde dans le même sens, non sans affirmer que les pics ont surtout été enregistrés aux mois de mai, juin et juillet. ‘’Il y a eu beaucoup d’enterrements ici. C’est d’ailleurs à cette période que nous avons été définitivement convaincus de l’existence de cette maladie. Je travaille ici depuis 2013, mais je n’ai jamais vu autant d’enterrements qu’en 2020.’’
Quelques instants plus tôt, à Yoff, un de ses homologues affirmait : ‘’Nous n’avons plus de repos. Parfois, il arrive qu’on nous appelle pour anticiper sur une autre tombe, alors même que nous étions en train d’en creuser une. En ce moment, je n’ai même pas encore mangé et le travail continue jusqu’à 19 h.’’
Des fossoyeurs sans protection, malgré la pandémie Au cimetière Saint-Lazare, I. W. N. et ses camarades se sentent ‘’abandonnés à leur sort’’. ‘’Depuis que la Covid-19 est apparue ici au Sénégal, regrette le fossoyeur, personne ne nous est venu en aide, que ça soit en matière de kits ou de conseils. Nous n’avons reçu ni gel ni masque de la part des autorités. Personne n’est non plus venu pour nous sensibiliser sur les mesures barrières’’. Pourtant, il dit avoir envoyé un mail au ministère de la Santé pour exposer leurs problèmes ; un courriel resté sans suite. Toutefois, relève-t-il, le responsable du cimetière leur avait fourni des masques, dès le début de la pandémie, mais que c’était loin d’être suffisant. ‘’Nous ne pouvons pas, à chaque fois, acheter des masques pour nous protéger. Pour le moment, il n’y a pas encore eu de cas de Covid-19, mais nous avons tous des familles au sein desquelles nous pouvons transporter le virus’’, dénonce-t-il. Interpellé sur cette situation, le gestionnaire du cimetière, Habib Sagna, botte en touche et indexe la responsabilité des fossoyeurs. ‘’Des masques et du gel leur ont toujours été distribués. C’est eux qui ne semblaient pas à l’aise avec les masques. Et ce sont des responsables ; on ne peut pas leur dire ce qui est bien pour eux’’, ajoute-t-il. Le même constat a été fait chez les fossoyeurs du cimetière musulman de Yoff. Leur responsable, qui n’a pas voulu communiquer son nom, dit n’avoir rien vu comme aide venant des autorités. ‘’Le masque que j’ai là, dit-il en montrant le bout de tissu, c’est nous qui l’avons acheté. Mais ici, on ne nous a rien donné comme aide’’. |
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RUFISQUE
Gérants et fossoyeurs font le constat
Dans les cimetières du département de Rufisque, les chiffres sont mitigés. Les gestionnaires et fossoyeurs se prononcent sur le rythme des enterrements et les chiffres à leur disposition.
La pandémie de Covid-19 nourrit bien des fantasmes. Selon une perception largement partagée, elle serait à l’origine d’une hausse considérable de la mortalité en 2020. Dans le populeux quartier de Dangou Nord à Rufisque, certains riverains du cimetière en sont convaincus. Trouvé à côté de la mosquée, B. Diop affirme sans hésitation : ‘’Par rapport aux années précédentes, 2020 est bien plus macabre. Il ne se passe presque pas un jour sans voir défiler des cortèges funèbres.’’ Mais que disent exactement les chiffres ?
Dans ce cimetière qui se trouve être le plus grand de la vieille ville, impossible de disposer des chiffres du premier semestre de 2020. Vêtu d’un maillot aux couleurs du Bayern Munich, le gestionnaire Ousmane Mbengue, entré en fonction au mois de juillet, explique : ‘’Avant notre arrivée, la gestion était informelle. Il n’y avait pas de registre. Cet enregistrement des personnes a commencé avec notre recrutement par la mairie, au mois de juillet.’’
Depuis lors, analyse le gestionnaire, l’évolution du nombre d’enterrements lui semble assez régulière, avec des hauts et des bas. Si le plus grand chiffre enregistré a été noté au mois d’octobre (89 décès), décembre, présenté comme un des mois critiques de la pandémie, a connu le moins d’enterrements, avec 65 décès. Au mois de juillet, 88 décès ont été répertoriés ; 77 en août ; 84 en septembre et 75 au mois de novembre. Loin des commentaires des uns et des autres, le gérant du cimetière communément appelé ‘’Armélou Dangou’’ insiste : ‘’Honnêtement, je ne sens pas, depuis que je suis là en tout cas, une hausse considérable. Bien au contraire, il y a eu même des baisses par moments, comme en attestent les chiffres.’’
Sur la période allant de janvier à juin, il a fallu recourir aux fossoyeurs, pour avoir une idée sur le rythme des enterrements. La soixantaine révolue, leur responsable, qui faisait office jusqu’à l’arrivée de l’agent municipal de gérant de fait, informe : ‘’Le plus fréquent, c’est deux à trois enterrements par jour. Parfois, on peut rester un à deux jours sans enterrement. Mais il peut aussi arriver d’aller jusqu’à 5 enterrements ou plus. Mais c’est rare.’’ De ses explications, il ressort que la moyenne se situe entre 2 à 3 enterrements par jour. Ce qui n’est guère loin des chiffres communiqués par le nouveau gérant.
Il convient de signaler que Dangou, qui se trouve dans la commune la plus peuplée de la ville (Rufisque-Nord) est le plus grand des cimetières de Rufisque. Il polarise au-delà même des frontières de la cité de Mame Coumba Lamb.
De l’autre côté de la ville, à Rufisque-Est, le constat est presque identique. Tenant un grand cahier qui lui sert de registre, le vieux Mandiaye Kébé, un des gestionnaires du cimetière de Thiawlène, a initié de son propre chef l’enregistrement des personnes enterrées sur les lieux. Mais à y voir de plus près, le cahier semble plus porté dans le recensement des personnes disparues au niveau des quartiers lébous de Thiawlène Bout, Thiawlène Digg, Pouyène et Mérina.
Selon les chiffres présentés par le vieux (un peu disparate), il y aurait même une baisse en 2020, comparativement à 2019. ‘’J’ai commencé à identifier en 2011. C’était avec le décès de Mansour Dia. Avant, il n’y avait aucune identification. C’est moi qui ai créé tout ça. La mairie ne me paie même pas. Je le fais volontairement. Et je vais redoubler d’efforts à partir d’aujourd’hui’’, témoigne fièrement le sexagénaire.
MOR AMAR ET IBRAHIMA MINTHE (STAGIAIRE)