Retour sur un départ précipité et ses multiples enjeux
Le limogeage du Dr Cheikh Dieng de son poste de directeur général de l'Office national de l'assainissement du Sénégal (ONAS), à peine trois mois après sa nomination, a fait l’effet d’une bombe dans le paysage politico-administratif sénégalais. La décision, annoncée à l'issue du Conseil des ministres du mercredi 31 juillet 2024, a suscité de vives réactions et soulevé de nombreuses interrogations quant aux véritables raisons de son éviction. Entre erreurs de gestion, tensions politiques et conflits d'intérêts, le départ précipité de l’ancien maire de Thiaroye révèle bien des failles au sein de l'administration sénégalaise.
Une nomination récente
Nommé à la tête de l'ONAS le 25 avril dernier, Dr Cheikh Dieng avait pris ses fonctions le 13 mai lors d'une cérémonie de passation de service. Il succédait à Mamadou Mamour Diallo, inspecteur des Impôts et des Domaines, avec pour mission de diriger une institution centrale dans la gestion des problèmes d'assainissement, particulièrement cruciale en période d'inondations.
Pourtant, trois mois plus tard, il est remplacé par l'ingénieur hydrogéologue Séni Diène. Ce passage éclair à la direction de l’ONAS a été rapidement qualifié par la presse sénégalaise de « limogeage humiliant », posant la question de la stabilité et de la gouvernance au sein de cette institution stratégique.
Les critiques de la gestion interne
Parmi les motifs évoqués pour justifier ce limogeage, la gestion interne de l'ONAS par Dr Cheikh Dieng a été fortement critiquée. Selon Abdou Samath Diouf, coordonnateur de la Plateforme des acteurs pour la lutte contre les inondations, l'ex-directeur de l’ONAS a commis « beaucoup d’erreurs » dans la gestion de l’entreprise. Diouf souligne sur les ondes de la RFM l’absence d’une démarche inclusive et d'une concertation avec les différents acteurs impliqués dans la gestion des inondations. Cette approche, selon lui, a contribué à l’aggravation des problèmes dans des villes comme Touba et Kaolack, où les inondations continuent de poser de sérieux défis.
Son manque de communication et sa tendance à écarter certains cadres et acteurs dès son arrivée ont également été pointés du doigt. Pour les critiques, il s’agit d’une erreur de stratégie qui a exacerbé les tensions internes, réduisant l’efficacité de l'ONAS dans ses missions essentielles.
L’affaire du véhicule de 80 millions de francs CFA
Un autre élément qui a pesé lourd dans la balance est l’affaire du véhicule de 80 millions de francs CFA. Selon des sources bien informées du journaliste Babacar Touré, Cheikh Dieng aurait accepté un 4x4 Land Cruiser offert par une entreprise soumissionnaire aux marchés de travaux de l’ONAS. Non seulement il aurait accepté ce cadeau, mais il aurait également fait immatriculer le véhicule à son nom, suscitant ainsi un conflit d’intérêts évident.
Son ministre de tutelle, Cheikh Tidiane Dièye, lui aurait alors demandé de rendre le véhicule. Cependant, au lieu de s’exécuter, Cheikh Dieng aurait revendu le véhicule à l'entreprise qui le lui avait offert, récupérant ainsi une somme importante. Cette décision, perçue comme un acte de défiance envers le ministre, aurait précipité son limogeage.
Les recrutements controversés
Outre l'affaire du véhicule, il a également été critiqué pour ses décisions en matière de gestion des ressources humaines. Il a notamment créé une Brigade d’intervention rapide pour les inondations, en recrutant de nouveaux travailleurs sans en informer le Conseil d'administration de l'ONAS. Cette initiative, bien que louable sur le papier, a été mal reçue par l'administration, qui a vu dans cette brigade un doublon avec d'autres structures internes, créant ainsi des tensions inutiles et réduisant l’efficacité globale de l'institution.
Ces recrutements, effectués sans l’aval du Conseil d’administration, ont non seulement été source de conflits internes, mais ont également été perçus comme une tentative de l'ex-candidat à la mairie de Pikine d’imposer sa vision sans consulter les autres parties prenantes. Cette attitude a renforcé les tensions avec son ministre de tutelle, Cheikh Tidiane Dièye, homme de confiance de Sonko, qui aurait alors réclamé sa tête à ce dernier.
Enfin, selon toujours le journaliste, Cheikh Dieng a lancé le marché de curage et de réfection du système d’assainissement de Dakar en désignant deux entreprises par entente directe, alors que l’une d’elles n’a aucune expertise en la matière, entraînant un retard des travaux.
Les conflits d'intérêts
Un autre facteur ayant contribué à son limogeage est la présence de conflits d’intérêts. Il a été rapporté que le directeur administratif et financier (DAF) de l'ONAS était un parent de Dr Cheikh Dieng, une situation qui a soulevé des questions éthiques quant à la gestion des ressources humaines au sein de l'institution. Cette situation a mis en lumière les défis de la coordination entre les différents échelons du pouvoir au sein de l’administration publique sénégalaise, où les rivalités et les intérêts personnels semblent parfois primer sur l’intérêt général. Alors que le nouveau régime loue le slogan « Jub – Jubal – Jubanti », c’est-à-dire une communauté basée sur l'éthique et l'abnégation envers le Sénégal.
Enfin, son activisme politique, qui n’a pas toujours été bien perçu au sein de la majorité, a également contribué à sa mise à l’écart.
Avenir politique
Sur le plan politique, ce limogeage risque d’entacher les relations entre cet allié de la coalition Diomaye 2024 et la majorité présidentielle, en pleine mutation. Certains observateurs estiment qu’avec cette « humiliation », il est peu probable que Cheikh Dieng reste fidèle à la coalition au pouvoir. Son départ pourrait même ouvrir la voie à une recomposition des forces politiques, surtout si l’ancien responsable du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) décide de rejoindre l’opposition.
Par ailleurs, son passage à la tête de cette agence pourrait faire l’objet d’un audit, si l’on se fie aux récentes déclarations du chef du gouvernement, Ousmane Sonko.
Le limogeage de Dr Cheikh Dieng, premier directeur général démis de ses fonctions sous le régime de Bassirou Diomaye Faye, envoie un signal fort aux autres dirigeants d’agences et de sociétés nationales. Le président semble vouloir marquer une rupture avec certaines pratiques du passé, en se montrant intransigeant face aux dérives et aux conflits d’intérêts.
Ce départ précipité pourrait bien être le prélude à une série de changements au sein de l’administration sénégalaise, alors que le pays se prépare à affronter des défis majeurs, tant sur le plan économique que social.
Reste à voir comment le leader de Fraternité et éthique pour le progrès et la prospérité (Feep/Tawfekh) réagira dans les prochains jours. Ses choix futurs, qu’il s’agisse de rester dans le giron du pouvoir ou de rejoindre les rangs de l’opposition, pourraient avoir des répercussions importantes sur la scène politique sénégalaise.
En attendant, le passage éclair de cet homme politique à la direction de l'ONAS laisse derrière lui de nombreuses questions sans réponse, et une institution qui devra se réinventer pour répondre aux attentes des Sénégalais en matière d’assainissement et de gestion des inondations.