Publié le 29 Jun 2022 - 21:55
POLITIQUE MIGRATOIRE

Le difficile retour au pays natal !

 

L’émigration féminine a pris de l’ampleur, ces dernières années. Elles sont de plus en plus nombreuses, les femmes sénégalaises, à emprunter les chemins difficiles de l’étranger autrefois ‘’chasse gardée’’ des hommes. Dans certains cas, l’espoir s’est mué en désillusion. Et le retour qui s’impose parfois comme seule solution peut s’avérer assez hypothétique. À travers les parcours de Seynabou et de Mariama Ba, deux femmes rencontrées grâce au soutien d’Article 19 et de l’Unesco dans le cadre du Projet autonomiser les jeunes à travers les médias et la communication, financé par l’Agence italienne pour la coopération au développement, ‘’EnQuête’’ vous conte les mille et un obstacles qui se dressent quelquefois sur le chemin d’un retour au pays natal. Au point que certains préfèrent mourir dans ‘’l’esclavage’’ dans certains pays hostiles comme le Maroc, au lieu de rentrer. Entre amertume, regrets, incertitudes, deux anciennes migrantes sénégalaises, en Afrique, content leurs espoirs déçus.

 

MARIAMA BA, 29 ANS

‘’Je suis rentrée pour ne pas mourir esclave au Maroc…’’

À l’heure de la mondialisation, les murs continuent de se multiplier partout dans le monde contre les phénomènes migratoires. Souvent, les yeux sont braqués sur l’Occident. Mais le mal est jusque dans l’environnement ‘’proche’’ africain. Le drame de Nador/Melilia rappelle à Mariama Ba son douloureux passage au Maroc. Elle était partie pour un long séjour. Mais, très vite, la jeune maman a déchanté. Elle raconte : ‘’Quand je vois les femmes se ruer vers le Maroc, cela me fait de la peine. Moi, j’ai vécu l’enfer dans ce pays. Avec des salaires misérables, on nous assigne à des travaux très pénibles. Par exemple, j’ai travaillé comme baby-sitter. Non seulement je n’avais pas droit au repos, mais aussi, je ne devais poser l’enfant que lorsqu’il dormait. Et ce n’était pas pour me reposer. Je devais en profiter pour faire les autres tâches ménagères. Dès que l’enfant se réveille, je devais arrêter pour aller le prendre. On était les premiers à se lever, toujours les derniers à se coucher. Et ils ne nous permettent même pas de prendre une minute pour respirer. Tout cela, pour des salaires modiques.’’

Fatiguée, Mariama a préféré fuir cet environnement hostile, pour revenir s’implanter dans son pays natal. Elle espérait y trouver des conditions meilleures avec les supposées politiques de l’État en faveur des migrants de retour. Mais depuis qu’elle est rentrée, elle n’a même pas d’interlocuteur. Elle déclare, ironique : ‘’Ici, nous avons au moins la paix. Mais il n’y a pas de travail. Les gens parlent beaucoup, mais les migrants de retour sont laissés à eux-mêmes. Nous ne sentons vraiment pas une volonté étatique de nous accompagner à trouver de l’emploi ou au moins des financements pour ceux qui ont des projets. Moi, je suis rentrée parce que je me suis dit qu’au moins, si je meurs, ce sera auprès des miens. Il vaut mieux souffrir ici que de mourir là-bas comme un esclave. Mais d’autres préfèrent retourner et pourquoi pas tenter par tous les moyens de regagner l’Espagne.’’

Avant de se rendre au Maroc, l’ancienne actrice avait déjà fait la Gambie. Au pays d’Adama Barrow où elle a vécu pendant près de deux ans, elle a flirté avec plusieurs métiers. Finalement, c’est dans la restauration qu’elle avait réussi à se faire une place de choix, en se spécialisant dans les plats sénégalais. Hélas ! À l’instar de beaucoup de compatriotes, la pandémie à coronavirus est venue tout  gâcher, selon ses termes. Elle se rappelle : ‘’Avant la pandémie, ça allait très bien en Gambie. J’avais commencé par de petites tables, mais j’avais réussi à avoir ma propre boutique. Avec la pandémie, nous avons été obligés de fermer. La situation devenait alors intenable et j’ai préféré rentrer, avant de tenter ma chance pour le Maroc. Mais si c’était à refaire, je ne l’aurais pas fait.’’

Ancienne employée à la Lonase, ancienne gestionnaire d’une maison meublée à Dakar, connue pour son passage dans la série ‘’Rup Tup’’, Mariama Ba est aujourd’hui dans une activité de survie, pour pouvoir préserver sa dignité, subvenir aux besoins vitaux de son petit bout de choux. Mais les temps sont plus que durs, selon cette jeune brave dame qui a du mal à joindre les deux bouts. ‘’Au Sénégal, insiste-t-elle, l’exploitation est partout. J’ai eu à travailler pendant six ans à la Lonase. Mon contrat, d’abord de stage, puis de prestation, a été renouvelé six fois. Je faisais mon job, mais je n’ai pas été recrutée. J’ai finalement abandonné. Par la suite, j’ai fait plusieurs jobs, avant d'aller en Gambie, puis au Maroc’’.

Aujourd’hui, celle qui se dit orpheline de sa tante, sa protectrice, ne demande qu’une chose : ‘’Le soutien de l’État.’’ Mais pour rien au monde, elle n’envisage de retourner au Maroc.

Seynabou, ancienne émigrée à Libreville : ‘’Ce que je regrette…’’

Si Mariama a enterré rêves et ambitions à Casablanca, Seynabou, elle, a fui le Gabon à cause de la pandémie à coronavirus. Après avoir passé sept longues années de sa vie à Libreville, la jeune dame s’est finalement résignée à rentrer, après moult hésitations. Un retour accéléré surtout par la pandémie à coronavirus.

Elle raconte avec tristesse : ‘’C’était très difficile. J’ai été obligée de fermer mon restaurant. Je n’avais plus aucun revenu, alors que je devais payer mon loyer à chaque fin du mois, sans aucun jour de retard. Je devais aussi manger, me déplacer et tant d’autres frais, sans compter les nombreuses attentes de la famille restée au Sénégal. Pour m’en sortir, je ne mangeais qu’une seule fois par jour. Parce que le loyer était la priorité, je devais le mettre de côté pour ne pas me retrouver dans la rue.’’

Ainsi, lasse de dépenser toutes ses économies, de se sentir sans cesse discriminée, ostracisée, Nabou a finalement décidé de rentrer au bercail, d’abandonner tous ses rêves en terre gabonaise de Libreville. C’était en décembre 2020, en pleine pandémie mondiale. Avec les maigres économies qui lui restaient, elle prévoyait d’investir et de s’épanouir dans son propre pays. Mais si c’était à refaire, elle y réfléchirait davantage. ‘’Au Gabon, confie la jeune dame, certes, c’était difficile, avec la corruption, l’insécurité, le racket sur les étrangers, mais j’arrivais au moins à gagner quelque chose et à vivre à la sueur de mon front. J’avais un restaurant qui marchait très bien et je vivais bien. C’est juste la pandémie qui est venue tout chambouler.’’

Depuis qu’elle est rentrée, c’est surtout une montagne de difficultés qui se dresse sur le chemin de la Dakaroise qui s’efforce, seule, de subvenir aux besoins de ses enfants. La première, ce sont les charges. À cause des nombreuses sollicitations, Nabou dépense très vite la quasi-totalité du plus d’un million de francs CFA qu’elle avait économisé. Elle voit ainsi tous ses projets d’investissement tomber à l’eau. Elle regrette : ‘’Il m’arrive effectivement de me demander si j’ai bien fait de revenir. Est-ce que je n’aurais pas mieux fait de rester vivre au Gabon ? C’est difficile de voir tous ces problèmes autour de nous et de ne pouvoir rien faire. C’est infernal de supporter ce regard pesant des nôtres pour qui nous ne sommes devenus qu’un fardeau… J’envisage sérieusement de quitter à nouveau ce pays, si l’occasion se présente.’’

En quittant Libreville, Nabou avait la tête pleine de projets. Elle avait déjà repéré sa clientèle au pays d’Omar Bongo et avait prévu de s’activer dans le commerce de tenues traditionnelles. Mais faute de moyens, la restauratrice n’a pu réaliser son rêve. ‘’Personnellement, je suis découragée sur tous les plans. Je n’ai plus aucun espoir. Je pensais pouvoir compter sur l’État, mais il n’y a rien de prévu pour nous. Pourtant, on entend parler de beaucoup d’initiatives… Mais on ne voit rien, on n’a pas d’interlocuteur quand on rentre chez nous’’, dénonce l’enfant de Fass Delorme.

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COUMBA SOW, JEUNE BINATIONALE

Un pari pour le Sénégal !

Malgré les difficultés, Coumba Sow a renoncé à onze mois de salaire pour venir investir au Sénégal. Née à Asnières-sur-Seine, dans la banlieue parisienne, directrice adjointe d’une agence de la Société générale en France, elle revient sur son parcours, son amour pour le Sénégal, ainsi que ses projets.

Elle a bravé les montagnes pour réaliser son rêve. Elle, c’est Coumba Sow, une Sénégalaise née à Paris, il y a une trentaine d’années. Depuis quelques mois, la jeune fille est au Sénégal pour chercher des opportunités lui permettant d’investir dans son pays d’origine. Pour se lancer dans cette aventure aux mille incertitudes, elle a fait le choix de renoncer à sa vie de jeune cadre dans une grande banque française. Elle témoigne : ‘’J’étais directrice adjointe dans une agence à la Société générale en France. J’ai dû demander une suspension de mon contrat pour onze mois. C’est onze mois sans salaire, mais je pense que cela en vaut la peine. Ce pays, c’est nous qui devons le construire. J’avoue que le plus difficile, c’était d’annoncer cette décision à mon directeur qui comptait beaucoup sur moi.’’

S’installer au Sénégal, cela a toujours été un rêve pour la jeune dame, titulaire d’un Master en Banque Finance, très active sur les réseaux sociaux sur le thème du retour des migrants et autres binationaux sénégalais. Sa mission, vendre la destination Sénégal avec toutes les opportunités qu’elle offre. Elle explique : ‘’Le Sénégal est une terre qui fait rêver. C’est pourquoi on n’a eu aucun problème à faire le saut, à tout abandonner pour venir avec l’ambition de s’y installer. Je pense qu’au-delà des investisseurs étrangers, il nous faut davantage miser sur la diaspora sénégalaise qui constitue une valeur ajoutée indispensable. En effet, il y a tellement de compétences, sans compter la capacité financière énorme, comme peut en témoigner le montant des transferts par an.’’

Convaincue qu’elle a, en tant que jeune binationale, un rôle à jouer dans le développement de son pays d’origine, elle a mis en place PariSénégal qui, en plus d’être un véritable pari sur l’avenir, est devenu un vrai link entre la France et le Sénégal d’une part, le Sénégal et sa diaspora d’autre part. Elle conseille, oriente, met en relation, facilite l’entrée et la connexion à tout investisseur qui veut s’implanter dans le pays de ses aïeuls. En plus de la maitrise technique, l’enfant de Dioudé Diabé confie détenir les trucs et astuces pour aider à une bonne installation.

‘’Au-delà des compétences techniques, pour réussir, on a besoin de connaitre le milieu, les réalités socioculturelles. Par exemple, faire comprendre au porteur de projet les bonnes et mauvaises pratiques, le préparer au contact des partenaires sénégalais… La chaleur dans le contact, ne pas être vexé par exemple quand on vous demande si vous êtes marié… Ce sont de petites choses qui peuvent faire la différence’’, rapporte-t-elle, souriante.      

Pour le moment, les résultats sont encore timides, mais la jeune femme ne se décourage point. Bien au contraire ! ‘’Je suis encore plus déterminée aujourd’hui. Ce n’est pas facile quand on décide d’abandonner tous ses avantages pour aller à l’aventure. Mais la vie, c’est aussi des risques qu’il faut savoir prendre. J’ai parié sur mon pays et je compte aller jusqu’au bout. Quelle que soit l’issue, je pense que cela mérite d’être vécu’’, dit-elle avec convictions.

Pour le moment, la seule chose qu’elle déplore et avec laquelle elle s’est désormais habituée, c’est les rendez-vous souvent déprogrammés. ‘’Xaaral ba suba (attends jusqu’à demain). Ça, c’est très fréquent dans nos administrations’’, rigole-t-elle.

C’est dans ce bel état d’esprit que l’entrepreneuse continue sa mission de prospection au pays de ses parents depuis le mois d’avril. Un pays et une culture qu’elle a découverts toute petite, grâce à un père visionnaire. ‘’C’était un rituel : chaque année, nous passions l’été au Sénégal. Nous quittions la banlieue parisienne d’Asnières-sur-Seine pour une immersion dans les profondeurs du Fouta’’.

Voici comment est né son amour pour le Sénégal. Aujourd’hui, Coumba a décidé de renoncer à son statut et à ses avantages pour contribuer au développement de son autre patrie.

Toutefois, s’empresse-t-elle de préciser, il n’y a pas que la perte de privilèges. ‘’Là, je suis en train de croquer la vie à pleines dents. En France, mon autre pays que j’aime beaucoup, on se lève tous les jours à 7 h pour aller au boulot. Toute la journée, on bosse. À la fin de la journée, c’est un autre voyage pour rentrer chez soi. Certes, il y a de l’argent et des avantages, mais parfois, on n’a même pas la possibilité d’en profiter. Actuellement, la situation géographique du Sénégal nous permet de profiter du beau temps, de marcher au bord de la plage. J’apprécie également la chaleur humaine, la gastronomie et la ‘teranga’ sénégalaise. C’est pour  dire que tout est relatif dans la vie. Le bonheur, ce n’est pas qu’une question d’argent’’, philosophe la promotrice de PariSénégal qui se ‘’réjouit’’ ainsi de sa nouvelle vie.

BUREAU D’ACCUEIL, D’ORIENTATION ET DE SUIVI

Un milliard F CFA pour les migrants de retour

Du côté des autorités étatiques, on assure être en train de tout mettre en œuvre pour accompagner les migrants et les migrantes de retour au pays. Souvent, la structure qui est servie en exemple pour donner des gages, c’est le Baos (Bureau d’accueil, d’orientation et de suivi) des Sénégalais de l’extérieur.

Selon la Direction générale d’appui aux Sénégalais de l’extérieur, la mise en place des Baos entre dans le cadre du projet Gouvernance migration et développement (GMD), financé par l’Union européenne à travers les fonds fiduciaires d’urgence pour l’Afrique. Il est mis en œuvre conjointement avec la coopération espagnole. ‘’Il s’agit, explique le service du ministère des Affaires étrangères, d’appuyer la DGASE à installer les Baos qui sont des dispositifs territoriaux de gestion de la politique migratoire au service des migrants, des potentiels migrants et de leurs familles dans les 14 régions’’.

Selon le document de présentation, les Baos ont pour missions ‘’d’accompagner la réintégration socio-économique des migrants de retour, de les informer sur les opportunités de formation, d’investissement et d’emploi, d’informer sur les conditions d’une migration sûre, de sensibiliser les potentiels migrants sur les dangers de la migration irrégulière.

Dans ce cadre, il est prévu pour l’année 2022 une enveloppe d’un milliard destiné aux porteurs de projet dans les domaines de l’aquaculture, les multiservices, l’artisanat et la couture. Dans les faits, beaucoup se demandent si toutes ces mannes sont véritablement injectées dans la lutte contre l’émigration irrégulière et la réinsertion des migrants de retour. 

Mor AMAR

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