Les “doyens” et les promoteurs culturels tirent la sonnette
La situation du théâtre local est déplorable. Après la génération de feu Golbert Diagne et la bande des artistes de la troupe Bara Yeggo, c'est pratiquement le désert. Plusieurs facteurs expliquent ce déclin. Mais pour certains acteurs du milieu, cela peut être corrigé. Il suffit de s'attaquer à la racine du mal pour redonner à Saint-Louis sa véritable place.
Le théâtre populaire saint-louisien doit retrouver sa place d'antan. C’est la conviction du journaliste-comédien Daouda Guissé. Depuis quelques années, le quatrième art dans la ville tricentenaire est en train de perdre de son lustre au moment où, dans des villes comme Thiès et la capitale Dakar il est noté un certain bouillonnement. Après l'épopée de la troupe Bara Yeggo de feus Golbert Diagne et Mame Sèye Diop, de Marie Madeleine Diallo, d'El Hadj Mansour Seck, etc., qui a donné au théâtre populaire à Saint-Louis ses lettres de noblesse, c'est le grand désert.
Depuis le retrait des planches de ces talentueux comédiens, on note une absence de troupes de théâtre de renom à Saint-Louis. Ce qui constitue l'un des problèmes majeurs qui a contribué au déclin du théâtre populaire dans la vieille ville.
Sans des compagnies établies et reconnues, il devient difficile de maintenir un niveau de création et de diffusion suffisant pour attirer le public et les artistes locaux. Pour le scénariste de l’ancienne troupe Bara Yeggo, Daouda Guissé, tout ceci aurait pu être évité, si les acteurs saint-louisiens avaient gardé leur propre registre. “Les artistes de la vieille cité ont leur propre secret. Il réside dans la civilisation de la ville tricentenaire, le vécu des ‘Domou-Ndar’. C’est uniquement cela qui faisait la différence entre la troupe Bara Yeggo et les autres. Saint-Louis, c’est un peu la particularité du Sénégal de par sa civilisation, de par sa tradition. Ce qui fait la différence aussi, c’est notre façon de parler, de paraître. Deux choses qui sont importantes dans notre vécu. Quand vous insistez sur le paraître et le parler, vous avez Saint-Louis dans sa globalité”, a expliqué le journaliste-comédien.
Après l'épopée Bara Yeggo, grand désert sur les scènes
‘’En écrivant la pièce “Bara-Yeggo 1”, j’ai insisté sur notre façon de parler et notre paraître, en vue de marquer la différence. Ce que nous avons réussi avec brio. C’est à travers ces deux caractéristiques qu’on se rend compte aisément que celui qui parle vient de Saint-Louis. Malheureusement, tous ceux qui ont suivi après notre passage ont changé cette marque de fabrique. Et cela a donné le résultat que nous déplorons tous aujourd'hui”, s'est désolé M. Guissé.
Mais il est également noté une autre problématique qui freine le théâtre populaire à Saint-Louis. Il s'agit de la migration des jeunes acteurs vers d'autres horizons, dont la capitale Dakar, pour mettre en valeur leur talent dans les séries télévisées. Une tendance qui a conduit à une perte du dynamisme au sein de la scène théâtrale locale.
D’ailleurs, elle a privé énormément Saint-Louis de sa jeune génération de talents et a réduit beaucoup les opportunités de renouvellement et de vitalité artistique. “La jeune génération de comédiens de notre ville, s'est départie de la particularité saint-louisienne en voulant faire comme tout le monde. C'est-à-dire faire la même chose en même temps et au même moment. Ce qui fait qu'il n'y a ni rupture ni changement, encore moins de véritables caractéristiques en termes de théâtre. Cet art doit illustrer une certaine spécificité, il doit partir de quelque chose d’original et doit avoir une âme. Pour eux, l'essentiel, c'est de paraître à la télévision, d'occuper les plateaux, de montrer qu'on fait du théâtre. Alors que Saint-Louis a une spécificité qui lui est propre. Il y a un dialogue théâtral que Saint-Louis ne peut accepter de même qu'il y a des scénarios qui relèvent spécifiquement de notre vieille cité. Malheureusement, les jeunes n'exploitent plus cette particularité propre à Saint-Louis. Ensuite, les jeunes ne se rapprochent pas assez des anciens. Je crois que pour progresser, il est nécessaire qu'ils côtoient les doyens”, a-t-il soutenu.
Absence de financements et de subventions au théâtre
Le manque de soutien institutionnel, que ce soit au niveau des autorités locales ou des structures culturelles, a contribué également à l'agonie du théâtre populaire à Saint-Louis. Mais le théâtre doit aussi faire face à l'absence de financements, de subventions et de programmes de promotion de l'art théâtral. Ce qui rend difficile le développement et la pérennisation des compagnies locales.
“ Nous avons besoin de redynamiser le théâtre, car Saint-Louis n'a pas le droit d'être le dernier wagon. On n'a pas le droit de rester à la traîne et d'être devancé dans la culture par d'autres régions. Malheureusement, c'est ce qu'on constate. Le festival international de Jazz de Saint-Louis devrait dépasser ce niveau, s'il avait reçu l'appui nécessaire de l'État et des sponsors, parce qu'il y va du développement culturel de la ville. On doit le faire pour le théâtre de Saint-Louis, le fanal de fin d'année de Marie Madeleine Diallo. Il faut que les mécènes de Saint-Louis acceptent d'accompagner les artistes, les promoteurs culturels, l'art en général. Il faut qu'ils arrêtent de faire du ‘Samba-Allar’, en aidant les autres tout en oubliant leurs proches”, a dénoncé le scénariste Daouda Guissé.
Malgré ces défis, il est crucial de reconnaître l'importance du théâtre comme vecteur culturel et artistique à Saint-Louis.
Ainsi, des efforts doivent être déployés pour revitaliser cette forme d'expression en encourageant la formation de nouvelles troupes, en soutenant la création théâtrale locale et en favorisant la collaboration entre les différentes parties prenantes du secteur. Car le déclin du théâtre à Saint-Louis est un signal d'alarme qu'il est essentiel de prendre au sérieux. En investissant dans la promotion du théâtre local, il est possible de renouveler et de dynamiser la scène théâtrale à Saint-Louis pour préserver son riche héritage culturel et artistique.
IBRAHIMA BOCAR SENE (SAINT-LOUIS)