‘’Les chiffres concernant les agents de santé sont faussés’’
La 3e de la vague de la Covid-19 a touché Thiès. La région a enregistré 2 534 cas, dans la semaine du 19 au 25 juillet 2021. Docteur Mama Moussa Diaw, Médecin-Chef de la région médicale, fait, dans cette interview, le bilan de la 3e vague.
Quel est le bilan, à mi-parcours, de la 3e vague, plus de deux mois après l’arrivée du variant Delta ?
Dans la région de Thiès, la 3e vague a commencé, la semaine du 17 au 23 mai 2021, avec 15 cas enregistrés, soit cinq fois plus que le nombre de cas de Covid-19 enregistrés pendant la semaine du 10 au 16 mai, qui correspond à la fin de la 2e vague. A la semaine du 19 au 25 juillet 2021, nous avons enregistré un cumul de 2 534 cas, rien que pour cette phase ascendante. Nous n’avons pas atteint le pic de la 3e vague, mais déjà, nous avons noté deux semaines consécutives, du 12 au 25 juillet, pendant lesquelles nous avons enregistré un nombre de cas (367 et 368) supérieur au pic de la 1re vague qui était de 317 cas à la semaine du 1er au 7 février 2021.
Ces chiffres seront certainement dépassés, puisque nous ne sommes pas à la fin de semaine du 26 juillet au 1er août et déjà, nous sommes à 591 cas confirmés. Nous avons actuellement 25 cas graves dans les centres de traitement. Le nombre de décès, depuis le début de cette 3e vague, est de 29. C’est loin des 194 de la 2e vague, mais c’est toujours dramatique et nous ne sommes pas encore à la fin, même si les services de santé ont beaucoup appris avec l’épidémie et qu’entre-temps, la vaccination est entrée dans la riposte.
Ainsi, à la date du 31 juillet 2021, nous avons enregistré 6 196 cas de Covid-19 dont 4 567 guéris et 332 décès (5,3 %).
Au regard de l’augmentation vertigineuse des cas, est-ce que les CTE sont en mesure d’accueillir tous les patients ?
Le taux d’occupation des lits est de 87,5 %. Il faut noter que sur le cumul de 51 patients hospitalisés au CTE de Thiès, depuis le début de cette 3e vague, 44, soit 86,3 % n’étaient pas vaccinés. Même si la région de Thiès a commencé à recevoir des patients de Dakar, comme attendu dans le cadre de la régulation, il faut noter que le dispositif de gestion des cas graves n’est pas encore au maximum de sa puissance.
En effet, à côté des 43 lits des CTE de l’hôpital régional de Thiès, Saint-Jean de Dieu et de l’EPS1 de Tivaouane, le processus d’extension des capacités litières avec extension des circuits d’oxygène mural aux CTE est en cours avec sept lits supplémentaires attendus à Tivaouane et 10 lits à l’EPS1 de Mbour.
Par ailleurs, des zones tampons sont en cours de mise aux normes dans les neuf centres de santé de la région pour étendre les capacités de prise en charge des cas graves en attente de confirmation. Cette avancée viendra renforcer l’existant dont la ZT de l’EPS1 de Thiès et l’hôpital Barthimée. Les centres de santé de Thiès et de Mékhé pourront ainsi bénéficier de l’extension des circuits d’oxygène avec l’appui du MSAS, à travers la DIEM.
A terme, la région de Thiès pourra monter en puissance et disposer d’au moins 72 lits d’hospitalisation et ainsi recevoir des patients des autres régions du pays, notamment de Dakar.
A quel point le personnel médical a-t-il était touché ?
Le personnel médical et paramédical est au-devant de la lutte contre la Covid-19 et continue d’assurer les autres missions de santé publique, dans le cadre de la continuité des services. Il est certes éprouvé par la durée de la lutte et surtout par les répercussions de l’attitude des populations sur la charge de travail. Mais c’est aussi son sacerdoce.
Ainsi, il est régulièrement touché par la maladie, certainement au lieu de travail, mais plus dans la communauté où il est le plus vulnérable et parfois dans l’impossibilité de respecter seul les mesures barrières.
Ainsi, le personnel de santé, dans le public et dans le privé, est souvent atteint et des décès sont enregistrés. Je m’incline devant la mémoire de nos illustres disparus tombés au champ d’honneur et je prie le bon Dieu de les accueillir au paradis.
Malgré cela, il faut reconnaître que les chiffres collectés par les services de santé sont logiquement inférieurs à ce qui est normalement attendu, en raison de la banalisation des cas considérés comme de la grippe et pour lesquels les agents ne font pas systématiquement des tests, mais aussi par l’absence de comptabilisation des statistiques d’une partie importante du secteur privé de la santé, notamment chez les chirurgiens-dentistes et leurs aides, et le personnel des officines privées.
D’ailleurs, en raison du recours systématique des populations aux pharmacies en cas de symptôme, le personnel de comptoir se trouve ainsi être plus exposé. C’est aussi l’occasion de rappeler aux populations que la pharmacie vient après la consultation et la délivrance d’une ordonnance par le personnel de santé.
Pour en revenir aux statistiques spécifiques du personnel de santé publique, c’est à la DGS ou à la DRH d’en apprécier l’opportunité d’en faire la communication. Toutefois, pour ce personnel de santé, les moyens de protection sont restés les mêmes et pour faire face à cette 3e vague, d’importantes quantités de matériel de protection individuelle avec masques, gants, produits d’hygiène, équipements de protection, fruit des dotations du ministère de la Santé et de l’Action sociale, et des appuis des partenaires techniques et financiers (Unicef, ANCS, Sightsavers) et des dons (Trust Africa et Caritas diocésaine), ont été distribuées aux districts sanitaires de la région de Thiès.
Il y a une polémique autour de l’approvisionnement en oxygène. Est-ce que la région de Thiès est concernée par ce déficit ?
Pour l’instant, la région de Thiès ne connaît pas de rupture en oxygène rapportée par les services. D’ailleurs, deux centrales à oxygène ne sont pas encore employées de leur capacité et la collaboration entre les services de la région permet le remplissage des obus d’oxygène pour les zones tampons. Parfois, des problèmes techniques peuvent empêcher certaines centrales d’oxygène dans les hôpitaux, en plus de l’alimentation du circuit oxygène mural, de remplir les bouteilles pour les autres services et ainsi amener les structures à demander le même service à d’autres hôpitaux. D’où l’impression de pénurie en oxygène que peuvent avoir les citoyens, en voyant des obus transportés d’une structure à l’autre.
On avait constaté que les gens étaient réticents à la vaccination. Est-ce que cette 3e vague a constitué un déclic auprès des populations ?
Depuis le 23 février 2021, la région de Thiès a vacciné 107 609 personnes âgées de 18 ans et plus, soit 9,1 % de la cible. Dans ce groupe, 51 920 personnes sont complètement vaccinées, soit 48,2 %. Les performances de la région pourraient bien être supérieures, car toutes les données de la vaccination ne sont pas encore saisies dans la plateforme nationale.
Les services de vaccination sont actuellement débordés par la réponse massive des populations et cela pose un problème de respect des mesures barrières. Il est difficile, avec la peur ambiante et les convictions nouvelles apportées par les vaccins, la disponibilité de vaccin assurant une couverture à une dose, de contenir cette vague humaine.
Cependant, les populations ne doivent pas oublier que le respect des mesures barrières reste de mise, même pendant les séances de vaccination et que celle-ci ne confère pas une immunité immédiate. Pas ailleurs, elles doivent contribuer à aider les services de santé à réduire la propagation du virus, notamment en respectant la distanciation physique, le port du masque et le lavage des mains. Les lieux de vaccination doivent donner l’exemple de la fréquentation organisée des services publics, dans le strict respect des mesures édictées par les autorités sanitaires.
Il n’y a pas de rupture de vaccins dans la région de Thiès, sauf pour le cas, comme au niveau national, de l’AstraZeneca. Pour les vaccins Sinopharm et Johnson & Johnson, la disponibilité est adéquate et la région médicale assure une dotation des districts sanitaires sur la base de leur consommation et, à leur tour, ces districts ravitaillent les postes de santé. Les districts sanitaires se basent sur le renseignement de la plateforme DHIS2 pour apprécier la consommation des vaccins par les unités de vaccination qui sont en général les postes et les centres de santé.
Donc, un poste de santé qui n’a pas justifié la consommation des vaccins par l’enregistrement du nombre de personnes vaccinées ne peut pas se déclarer en rupture et exiger de nouvelles doses. Cette plateforme est nationale et les districts sanitaires et la région médicale de Thiès sont assujettis à la même réalité pour pouvoir demander de nouvelles doses de vaccin. Et c’est valable pour toutes les régions médicales du Sénégal.
Dans un contexte de forte demande en vaccins, le seul indicateur sur lequel se base le Programme élargi de vaccination (PEV) pour livrer de nouvelles quantités, c’est le taux d’utilisation des vaccins renseigné par les prestataires eux-mêmes dans la plateforme DHIS2. Ceci permet d’éviter les gaspillages et en même temps cela encourage les plus performants et, par-devers eux, les populations les plus adhérentes à la vaccination. Actuellement, en se basant sur les chiffres saisis par le personnel de santé, la région de Thiès jouit d’un taux d’utilisation des vaccins de 76,8 %. Cela n’exclut pas la possibilité de rupture réelle dans certains postes de santé, mais ils apprécieront avec les médecins-chefs de district qui verront les ajustements à apporter au cas par cas.
JEANNE SAGNA (THIÈS)