Alpha Condé paie sa politique de rapprochement avec Pékin
L'Office of Foreign Assets Control (Ofac) est un organisme de contrôle financier, dépendant du Département du Trésor des Usa. Cet Office de contrôle des actifs étrangers est chargé de l'application des sanctions internationales américaines dans le domaine financier. Hier, il a émis un avis pour bloquer « les biens et intérêts » de l’ancien Président Guinéen Alpha Condé qui se trouveraient aux Usa, « ou en possession ou sous le contrôle de personnes américaines ». Motif ? La répression des manifestations politiques sous ses mandats. Plus loin, on ne peut y voir qu’un message aux dirigeants africains réputés proches de Pékin…
L'Ofac reproche à Alpha Condé, l'ancien président de la Guinée, renversé par un coup d'État en septembre 2021, les violences auxquelles se sont livrées les forces de sécurité contre les partisans de l'opposition de Condé, jusqu'au référendum constitutionnel de mars 2020 qui a permis à Condé de briguer un troisième mandat. Le gouvernement américain souligne aussi que « les violences contre les membres de l'opposition se sont poursuivies pendant et après l'élection présidentielle guinéenne d'octobre 2020 ».
Selon l’accusation, au début de 2020, « Condé a ordonné aux ministres de créer une unité de police pour répondre aux manifestants anti-Condé, avec de la violence, si nécessaire ». Selon l’Ofac, « les rapports indiquent qu'en 2020, le gouvernement a arrêté et détenu arbitrairement des membres de l'opposition ». Toutefois, le conditionnel est de mise, quand il s’agit de préciser les faits susceptibles de motiver de telles sanctions. « Entre autres incidents, les forces de sécurité auraient tiré à balles réelles sur des foules qui s'étaient rassemblées pour célébrer l'annonce de la victoire de l'opposition de Condé et ont tiré sur deux mineurs, en tuant un, et ont tiré sur un autre dans le dos, alors qu'il s'enfuyait ».
Le réquisitoire ajoute qu’après l'élection d'octobre 2020, « les forces de sécurité auraient tué plus d'une douzaine de personnes, y compris des personnes tuées à bout portant qui ne présentaient aucun danger immédiat pour les forces de sécurité ». Pour de si graves accusations, l’Ofac reprend à son compte le récit global qui sert toujours de bréviaire dans ce type d’affaires.
Le document diffusé, hier, ne mentionne pas explicitement des biens appartenant à Alpha Condé aux Usa ; au cours de ses années de pouvoir, il n’a pas été cité dans aucune des enquêtes de consortium de journalistes d’investigation traquant les fortunes cachées des dirigeants africains ; pas plus qu’il n’a été épinglé dans les Panama Papers.
Doumbouya, auteur principal ?
Le paradoxe se trouve dans le fait que c’est le colonel Mamady Doumbouya, le tombeur du président Condé, alors commandant des « forces spéciales » à partir de 2018, qui est présenté par l’actuelle opposition guinéenne comme le maître d’œuvre, avec Balla Samoura, commandant de la gendarmerie régionale de Conakry, de ce qui est reproché à l’ancien président de la Fédération des étudiants d’Afrique noire francophone (Feanf) ; tout comme, est-il indexé pour ses violations présumées de droits de l’Homme, après sa prise du pouvoir.
Le Front national pour la défense de la Constitution et les familles des victimes des manifestations de juillet et août derniers ont ainsi porté plainte contre lui devant la justice française. Ils accusent Mamadi Doumbouya, ancien membre de la légion étrangère, de « complicité d'homicides et de tortures », suite à l'assassinat d'au moins dix jeunes, lors de manifestations organisées par le Fndc à Conakry.
Qu’est-ce qui explique une telle décision contre Alpha Condé, 84 ans, un président déchu, en exil médical en Turquie ? Pourquoi lui faire boire le calice jusqu’à la lie ? Alpha Condé ne semble pas être le principal destinataire du message enrobé dans cette décision.
Européens et Américains n’ont jamais pardonné à Alpha Condé son rapprochement avec la Chine, même si son entêtement à modifier la Constitution pour briguer un troisième mandat a fait de lui une cible facile. Alpha Condé était dans le viseur de l’administration Us, depuis de longues années. Avec le site minier de Simandou, la Guinée détiendrait à ce jour la plus grosse réserve de fer de haute qualité de la planète ! 2,4 milliards de tonnes de minerai titré à 65%. Or, la Chine a un besoin constant de fer. Elle en importe un milliard de tonnes, chaque année, dont les deux-tiers d’Australie.
A la recherche d’investisseurs pour développer ses infrastructures, Alpha Condé avait fait scinder le méga projet Simandou en quatre blocs et des entreprises chinoises sont à chaque fois présentes, majoritaires ou en participation.
Mégaprojet de Simandou
Le 13 novembre 2019, SMB-Winning a obtenu la concession sur les deux premiers blocs, dans un contexte où Pékin voulait réduire sa dépendance au minerai australien. Par ailleurs, les groupes chinois sont déjà leaders pour l’extraction de bauxite dont la Guinée est le deuxième exportateur mondial. Ce que n’ont que très peu apprécié les Américains engagés dans une guerre économique avec la Chine. La « fatwa » du Trésor américain contre Alpha Condé ressemble, à bien des égards, dans certains de ses aspects, à la procédure contre le défunt président Tchadien Hissène Habré, décédé en août 2021 à Dakar, traduit devant les Chambres africaines extraordinaires siégeant au Sénégal, après l’adoption de la loi de compétence universelle.
Tout au long de son procès qui a conduit à sa condamnation à la prison à perpétuité pour « crimes contre l’humanité », ses défenseurs et de larges franges de l’opinion n’ont eu de cesse de rappeler que l’auteur des faits qui lui étaient reprochés avaient été commis sous la conduite de son tombeur, le défunt président Idriss Déby Itno.
Amadou DIOP