Publié le 31 Jan 2020 - 04:33
OUSMANE NDIAYE, PSYCHOSOCIOLOGUE

‘’L’homme est par nature violent’’

 

Les crimes odieux commis actuellement au Sénégal font peur. Les criminels tuent de plus en plus et de manière sauvage. Ils décapitent, multiplient les coups de couteau ou sectionnent simplement certaines parties de leurs victimes. Pour avoir plus d’explications sur ces phénomènes, ‘’EnQuête’’ s’est entretenu avec le psychosociologue Ousmane Ndiaye. Pour le spécialiste, l’homme est naturellement violent.  

 

Les cas de meurtre refont surface dans la société sénégalaise. Qu’est-ce qui explique cela ?

Par nature, l’homme est violent. Quels que soient son continent, son pays et sa couleur, l’homme est, par nature, un être violent. Au cours de l’histoire, les hommes se sont civilisés, sous la pression de beaucoup de facteurs sociaux, économiques et culturels qui se sont mis en place. Les hommes ont plus ou moins amélioré leurs comportements dans le sens d’une vie sociale plus apaisée. Cet apaisement est assez relatif. Quand les conditions économiques, l’équilibre social s’installent de façon positive, à ce moment, la culture contribue à lisser les comportements pour les rendre pacifiques plus ou moins.

Je me réfère principalement au système nerveux de l’individu et à son évolution dans l’histoire, parce que l’homme a beaucoup évolué, ce qui, pendant très longtemps, lui a permis de survivre. C’était justement ce caractère violent - insistons là-dessus - mais aussi les conditions extrêmement difficiles dans lesquelles il a vécu au début de son histoire. Ce qui a fait que, dans son cerveau, la partie qui gérait la survie était la plus importante. Elle couvrait pratiquement les trois-quarts du cerveau, dans cette zone qu’on appelle le système limbique. Cette zone couvre tout ce qui peut contribuer à permettre à l’individu de bander ses forces pour échapper à la mort.

Dans cet environnement, les facultés perceptuelles de l’homme étaient plus aiguisées. Ces évolutions économiques, surtout techniques, scientifiques, démographiques et sanitaires ont contribué à créer un sentiment de sécurité. La partie occupée par le système limbique a eu à régresser. Si elle occupait les 3/4 du système nerveux, avec le temps, le système limbique a laissé place à ce que l’on appelle le cortex préfrontal, c’est-à-dire le siège de l’intelligence. L’homme est devenu plus intelligent, capable de développer des stratégies qui lui permettent, tous les jours, de résoudre de nouveaux problèmes. Ces facteurs vont permettre aussi les développements démographiques.

Pendant longtemps, il y a eu des guerres qui étaient différentes de ce que l’on voyait au début, c’est-à-dire un individu dans une forêt sauvage avec des animaux contre lesquels les hommes devaient se défendre ou fuir. Fuir aussi était une forme de défense. A cette époque, avoir peur et savoir fuir à temps et rapidement étaient des qualités. Ce n’est pas comme aujourd’hui ou l’individu se sent vexé, quand on dit qu’il a peur.

Qu’est-ce qui a changé, entre-temps ?

Nous sommes à l’ère de la domination du siège de l’intelligence et les 3/4 de notre cerveau sont recouvrés par notre cortex frontale, d’où les avancées que l’humanité est en train de faire, depuis quelques siècles. L’homme devrait beaucoup changer. Les violences, c’est à travers les guerres, et les guerres sont beaucoup plus une façon de faire la politique ou de s’approprier les territoires plutôt qu’autre chose.

Globalement, on peut dire que l’homme s’est beaucoup civilisé et toutes les lois qui ont été prises à travers le monde entier, dans tous les pays, pour interdire la violence, sont une nécessité. Le système limbique n’a pas disparu. Nous sommes tous aujourd’hui dotés d’un système puissant devenu une petite boule dans le système nerveux. Il a toujours toutes ses qualités et sa force.

Qu’est-ce qui réveille ce système limbique chez l’individu ?

Un homme est susceptible, à tout moment, de redevenir violent. Il suffit de créer le contexte de cette violence. Le contexte, les gens semblent le perdre de vue, mais trop souvent, il est de nature économique. Quelqu’un qui vit dans la pauvreté, en général, et le dénouement, avec tout ce que cela comporte comme niveau d’instruction très bas, un très faible accès aux connaissances, c’est déjà un terrain favorable à ne pas pouvoir contenir ces bouffées de colère que la frustration peut justifier. On peut se sentir marginalisé au sein de la société, sans passer à l’acte. On n’est pas obligé de le faire. Savoir gérer sa colère ou sa passion et accepter sa situation, c’est là où les religions aident beaucoup les individus à accepter de subir des moments difficiles dans leurs existences. Les religions nous enseignent que si on est malheureux ici et qu’on se comporte bien, Dieu le rétribuera par le paradis. Cette thèse est plus ou moins acceptée. Un individu peut y croire et accepter de renoncer à toute forme de violence pour sa propre survie. Cette croyance peut être assez superficielle et devenir le point de rupture, dans ce cas, si jamais il y a une provocation.

Est-ce que la répression peut être dissuasive, dans ces cas de violence ?

Les répressions peuvent être dissuasives, mais ne le sont pas définitivement et durablement. Ce n’est pas la solution. En général, il faut plusieurs facteurs combinés, il y a celui de la justice sociale. C’est-à-dire faire en sorte que, non seulement les gens se sentent chez eux et bénéficient du travail collectif qui fait qu’il y aura des emplois, de la production de richesses. Il y aura donc une distribution correcte des richesses. C’est une condition qui facilite beaucoup de choses. Donc, en ce moment, la répression sera là pour rappeler les règles. Ce sera une question de seuil.

Globalement, il se pourrait qu’à 60-80 %, tout le monde pousse dans le même sens pour qu’il y ait la paix. Si les conditions de justice sociale sont réalisées, les gens seront paisibles et calmes. L’effet de masse jouant, même s’il y a une faible minorité de gens qui ne seront pas contents et auront des tendances déviantes, il se pourrait que, d’une part, la répression et, d’autre part, l’inertie sociale globale permettent de maitriser la situation. Il faut autre chose que la répression.

Comment qualifiez-vous les cas de violences extrêmes notés dernièrement ?

Dans les cas particuliers, il se peut qu’il s’agisse d’un crime passionnel, comme pour celui de Thiaroye, au regard du nombre de coups (64) portés à la victime. L’acte est assez parlant. Il se peut qu’il y ait un problème affectif qui a joué et, à ce moment, c’est un crime passionnel. En général, il y a plusieurs facteurs, les motivations sont diverses et variées, mais il y a toujours le fait qu’une volonté de tuer est particulière sur cette capacité à tuer. C’est le fait que, dans son système nerveux, l’individu a trouvé la force de passer à l’acte. C’est presque un coup de folie. Dans l’environnement ou nous vivons, ou les faits sont presque équilibrés, pour passer à un tel acte, c’est presque un coup de folie qu’il faut assurer. C’est soit un calcul froid, soit l’individu est submergé par un sentiment qu’il ne peut pas maitriser et qui le pousse à tuer. Il passe donc à l’acte brutal, quitte à le regretter. Si c’est un crime passionnel, il est évident que la proximité joue. C’est ce qui permet d’identifier l’assassin.

Est-ce que notre société n’est pas elle-même violente, au regard de ce qui se passe dans nos maisons, les transports en communs, la rue… ?

La société sénégalaise est en pleine transformation. Elle est en train de subir des changements qui se voient à travers des actes qu’on peut trouver anodins. Déjà, vous parlez des disputes. La famille sénégalaise qui était large est en train d’éclater littérairement. Il y a énormément de conflits dans les grandes familles. Cela peut être une question de leadership très souvent, c’est une question d’appropriation de biens, l’héritage, le déséquilibre social. On était habitué à ce que le plus âgé dirige.  Les plus jeunes peuvent réussir et devenir plus riches et risquent d’être investis de plus de pouvoir que les ainées. Ce qui ne va ne pas plaire à tout le monde. Il y a également des agressions de toutes sortes comme les vols à l’arraché. Les transports en commun où les gens se réunissent dans des conditions extraordinaires, avec trop de monde. Et, forcément, entre hommes et femmes, il y a des conflits comme des actes sexuels, il y a les viols en a plus finir, les enlèvements, l’insécurité pour les tout-petits.  

La société sénégalaise est en train de changer et les gens adoptent des comportements en rapport avec l’insécurité. Il faudra cependant aller plus de l’avant, pour améliorer la protection individuelle au niveau de la famille et d’autres mécanismes de protection à mettre en place pour créer le sentiment de sécurité.  On est même agressé dans sa maison. Les individus malintentionnés commencent à s’organiser en groupes et s’équiper en armes, et s’ils se sentent assez forts pour attaquer une maison, ils le font. Nous sommes dans un environnement où la violence religieuse peut être un danger pour le Sénégal. Elle est à nos frontières. A l’heure actuelle, on ne peut pas dire que ce qui l’emporte soit un sentiment de sécurité. Au contraire, tout le monde a peur, parce que ça peut arriver à tout instant et n’importe où.

Qu’est-ce qui explique les séries de meurtres notées souvent ? Elles peuvent porter sur des femmes, sur des malades mentaux ou des enfants…

Je ne crois pas qu’il y ait une série linéaire, mais plutôt un certain nombre de coïncidences qui font que plusieurs femmes, au fil des jours, peuvent faire l’objet d’agression, voire de meurtre, de viol… N’oubliez pas que nous sommes dans un environnement médiatique qu’on n’avait jamais connu auparavant. Tout ce qui se fait est relayé par les médias classiques et sociaux. Donc, l’effet d’amplification est énorme. Les couches les plus vulnérables à la violence, ce sont les femmes qui sont l’objet de convoitise sexuelle et les enfants qui font beaucoup plus l’objet de règlement de comptes avec les familles.

HABIBATOU TRAORE

 

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