Publié le 5 Jan 2021 - 09:42
JEAN COULIDIATY, PRESIDENT SOAPHYS

‘’Nous ne sommes pas atteints de sida mental’’

 

Professeur à l’université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou, ancien ministre burkinabé de l’Environnement, le président de la Société ouest-africaine de physique, Jean Koulidiaty, revient, dans cet entretien accordé à ‘’EnQuête’’, sur les goulots qui étranglent les pays de l’Afrique de l’Ouest en matière de recherche et prescrit un certain nombre de remèdes pour renverser la tendance. L’entretien a eu lieu en marge de la 2e édition du Congrès de la Soaphys tenue à Dakar en fin novembre 2020.

 

Qu’est-ce qui explique le retard des pays de l’Afrique francophone par rapport aux Anglophones, sur le plan de la recherche ?

On ne va quand même pas trop s’attarder sur la colonisation, mais le type de colonisation est déterminant, à mon avis. Nous étions des éternels assistés. En Afrique francophone, le colonisateur n’a pas rapidement créé des universités pour permettre aux Africains de se former et de prendre en charge leur propre destin. Dans nos pays, la plupart des Africains qui étaient formés l’étaient en niveau CM2, pour être juste des interprètes, des gardes-cercles… Quelques-uns seulement sont parvenus à devenir médecins et on les appelait ‘’médecins africains’’, pour marquer la différence. 

Dans les pays anglophones, par contre, c’était une sorte de colonisation indirecte. Les Anglais ont très vite créé des universités pour former les autochtones. Lesquels prenaient en charge leur destin. Quand vous prenez le Nigeria, par exemple, j’y étais récemment pour le 45e anniversaire de la naissance de leur Académie des Sciences. Au Burkina, on est juste au 8e anniversaire. Le Sénégal est un peu plus âgé. Dakar a été la première université française installée en Afrique et tous les autres devaient venir ici. Je pense que c’est pour tout cela que les Anglophones sont nettement en avance au niveau organisationnel, au niveau de la science, dans tous les niveaux. Même politiquement, ils sont beaucoup plus stables. Nous ne sommes pas obligés de les suivre pas à pas. Il faut prendre des raccourcis pour essayer de les rattraper.

Avez-vous l’impression que ce lien ombilical est aujourd’hui totalement coupé ?

C’est difficile de tout couper du jour au lendemain. Aujourd’hui, la plupart des physiciens qui sont là avec nous ont fait leur formation en Europe, en France en particulier. Mais maintenant que nous sommes formés, maintenant que nous avons le courage de mettre en place des laboratoires dans nos différents pays, les choses changent peu à peu. Les physiciens formés ces 10 dernières années ou même un peu plus, l’ont été en Afrique.

En revanche, il faut avoir l’humilité de reconnaitre qu’on ne peut pas tout couper, puisque les meilleurs appareils de mesure, d’analyse sont en Europe, en Occident. Nous sommes en relation avec nos laboratoires d’origine pour envoyer nos étudiants parfaire leurs connaissances, mais aussi se confronter aux autres. Je pense qu’il faut des partenariats gagnant-gagnant avec l’Occident en général. Lesquels savent que nous avons des capacités ; nous ne sommes pas atteints de sida mental. Nous sommes capables de faire comme eux. D’ailleurs, vous entrez dans la plupart des laboratoires en France ou en Europe, vous allez trouver difficilement des Français. La plupart sont des étrangers : africains, chinois et autres. Eux préfèrent être ingénieurs ou suivre certaines formations professionnalisantes.

Y a-t-il une articulation entre les recherches que vous faites et les besoins des populations ?

Bien sûr ! Par exemple, la première édition de la Soaphys à Ouagadougou, c’était basé sur les développements endogènes. Quel est l’apport de la physique sur le développement endogène ? Nous y pensons et savons que c’est en relation. Maintenant, il ne faut pas oublier que la physique a plusieurs facettes. Il y a la physique fondamentale théorique et la physique appliquée. C’est les deux faces d’une même médaille. L’une ne peut aller sans l’autre, même si, quelquefois, l’une peut devancer l’autre. C’est-à-dire, on peut trouver des résultats, on ne sait pas pourquoi et comment. Et on fait de la recherche théorique fondamentale pour pouvoir expliquer la situation. D’autre part, on peut trouver des résultats, et maintenant on cherche quelle est l’application. Vous avez vu que les dernières communications (faites lors de la 2e édition de la Soaphys tenue à Dakar) portent sur des appareils qui utilisent le rayon X par exemple pour traiter le cancer, à Dakar. A Abidjan, c’est pareil… Il y a aussi des recherches liées à l’agriculture, à la pollution… Il est clair que nos recherches sont en lien avec les problématiques qui nous interpellent. Mais c’est clair aussi qu’il n’y a pas de physique africaine. La physique, c’est la physique. C’est une science universelle.

Les universités sont réputées faire des recherches souvent destinées aux tiroirs. Que faudrait-il faire pour les mettre en application ?

Ce n’est pas propre aux physiciens. Cela concerne tous les chercheurs. Ils sont formés pour chercher, pas pour communiquer. Maintenant, il est important que dans nos laboratoires ou universités, qu’il y ait des structures en charge du développement, en charge de vendre les résultats de la recherche, au moins de les faire connaitre. Malheureusement, ce n’est pas encore le cas. Ce qui fait dire à certains que des chercheurs qui cherchent on en trouve, mais des chercheurs qui trouvent on en cherche. C’est une fausse perception. Nos chercheurs cherchent et trouvent. Notre problème, c’est surtout au niveau de la communication et la mise en œuvre pratique des résultats de la recherche.

Dans certains pays comme le Burkina, on a mis en place des structures de valorisation des résultats de la recherche. Et je suis sûr que ça existe aussi au Sénégal, mais ce n’est pas encore suffisant. Je pense qu’il faut même créer des startups au niveau des universités pour travailler dans ce sens. Mais tout cela demande des moyens et il faut que nos gouvernants aient plus foi en la recherche. Je n’ai pas encore vu beaucoup de pays se développer en dehors de la recherche.

Voulez-vous dire que les gouvernements ne mettent pas encore assez de moyens dans le secteur ?

Ce n’est pas encore le cas. Il faut vraiment financer la recherche. Il n’y a pas beaucoup de pays qui ont dans leur budget des lignes budgétaires pour financer la recherche. Je pense qu’il faut changer la donne. C’est vrai que quand on est là à lutter contre le paludisme, quand on n’a pas suffisamment d’aspirine, de nivaquine pour soigner les citoyens, il est difficile de trouver un milliard pour acheter un télescope. Mais il faut quand même qu’on sache que quand la France construisait la Tour Eiffel, l’Arc de triomphe… la peste et le choléra tuaient. Quand on construisait Versailles, les gens mouraient de ces maladies. Il faut donc essayer de trouver l’équilibre.

Qu’est-ce qui explique la participation trop faible de l’Afrique dans la recherche mondiale ?

C’est vrai que c’est trop faible. Vous prenez les physiciens de haut niveau dans un pays, parfois on en compte sur les doigts des deux mains, peut-être des deux pieds aussi (rires). Mais je veux simplement dire qu’il y en a très peu. Il faut qu’un jour, les physiciens de haut niveau soient des anonymes, parce qu’ils sont nombreux. C’est encore loin d’être le cas. Il faut faire beaucoup d’efforts pour trouver comment les jeunes filles et les jeunes garçons puissent se sentir concernés par les sciences, les mathématiques et la physique. Il faut que nos Etats, les académies nationales fassent de la sensibilisation pour convaincre les jeunes que l’avenir se trouve dans la science. Mais là aussi, il faut qu’ils sachent que cela puisse leur apporter de l’argent, qu’ils peuvent gagner leur vie avec. Aujourd’hui, les jeunes, ce n’est plus l’honneur, c’est l’argent. Qu’est-ce que je gagne en devenant physicien, en devenant mathématicien ? Il faut y trouver des solutions.

Il faut aussi faire notre autocritique, revoir comment nous enseignons ces matières. Quelle est notre part de responsabilité dans cette désaffection sur les matières scientifiques ? Par exemple, introduire de nouvelles matières qui vont attirer les gens. Au Burkina, nous avons décidé d’introduire l’astrophysique. C’est du vinaigre pour attirer les gens. Tout le monde ne sera pas astrophysicien, mais ils finiront par être médecins, ingénieurs…

Souvent, on invoque le manque de moyens pour expliquer la faiblesse des recherches. Cela explique-t-il tout ? Est-ce qu’il n’y a pas quelque part de la paresse chez nos chercheurs ?

Non. C’est vrai qu’il faut un minimum de moyens, un cadre… Le reste, c’est la passion et l’engagement. Mais même si on est passionné et engagé, si on n’a pas les moyens, ce n’est pas possible. Peut-être si on est très, très motivé, on peut, par la nage, traverser la mer pour aller quelque part où on peut travailler. Mais je pense qu’il faut mettre le minimum pour que les scientifiques puissent s’épanouir chez eux. Tout le monde veut quand même marquer son temps. Comme Cheikh Anta Diop, il n’est pas mort grâce à son œuvre pour son pays et pour l’Afrique. Ki-Zerbo, c’est pareil… Nous aspirons tous à l’être et ce n’est pas en étant au Canada, aux Etats-Unis ou ailleurs. C’est pourquoi le thème de cette année tourne autour de la problématique de la contribution de nos diasporas au développement de la physique dans nos pays. Et ils en sont très heureux. Ils sont heureux de constater qu’on pense à eux, qu’on fasse appel à eux et qu’on fasse de sorte que ce qu’ils font ailleurs se sachent. Ce sont des gens qui sont prêts à se mettre à notre disposition, à la disposition de leurs pays et de l’Afrique et c’est très important. Il faut juste rappeler qu’avant, on parlait de fuite des cerveaux. Maintenant, on parle de la circulation des cerveaux.

Quel doit être le rôle de cette diaspora dans le développement de la recherche ?

Ils peuvent jouer un effet de levier. Etant dans des pays développés où ils occupent parfois des postes de responsabilité, ils peuvent faire en sorte que nous puissions en profiter. Ils peuvent, par exemple, aider à recevoir nos étudiants, créer des partenariats entre leurs universités et les nôtres, participer au transfert de technologie, même de matériels. Un matériel qui est désuet en France ne l’est pas forcément ici. Des Français m’ont dit qu’eux attendent des matériels déclassés japonais pour les faire venir en France. Nous, nous attendons les matériels déclassés en France ou aux Etats-Unis pour les prendre. C’est le moment de souligner que nous avons même demandé à toutes les sociétés nationales de faire le point de l’ensemble des physiciens de leurs pays d’origine. Nous allons essayer de les organiser pour travailler ensemble.

Quels ont été les temps forts de ce 2e congrès ?

Déjà, il y a l’implication des autorités sénégalaises pour la réussite de l’évènement. Ce n’était pas évident, surtout dans ce contexte de pandémie. Nous avons aussi noté l’engagement du directeur général de la Recherche et de l’Innovation. Lequel s’est engagé, au nom du gouvernement, à soutenir la société sénégalaise de physique.

L’autre temps fort est d’avoir découvert ce que nos compatriotes font à l’étranger. Par exemple, un compatriote sénégalais qui est aux USA travaille beaucoup avec le Pr. Ka. Un Malien qui se trouve en Italie contribue également énormément dans l’invitation des étudiants et le transfert de matériels… Nous avons aussi un Burkinabé qui se trouve à Montréal et qui a contribué dans son pays à la formation pratique de techniciens solaires, la maintenance du système photovoltaïque… Ils le font parce qu’ils aiment leurs pays. Et nous les encourageons.

Certains jeunes se plaignent parfois, dans certaines disciplines, de la disponibilité des anciens…

Je disais tout de suite à un des nôtres qui me disait qu’il doit aller à la retraite l’année prochaine, il faut qu’on lui trouve un remplaçant. Je lui dis que ce n’est pas parce qu’il est à la retraite qu’il n’est plus physicien. On a besoin de toi. Surtout là où tu es mûr, au moment où tu aspires à travailler sans rien attendre…

Mais on en voit des universitaires qui aiment surtout être les seuls, les meilleurs dans leur domaine…

Ah non ! Ceux-là ont échoué. Celui qui dit : je veux que l’Etat me réquisitionne parce que je suis le seul dans mon domaine, il a lamentablement échoué. Ce n’est pas normal que quelqu’un devienne professeur titulaire de classe exceptionnelle, aller jusqu’à la retraite et ne pas avoir de successeur. C’est un échec. Celui-là doit se rendre compte que sa vie est un échec. Malheureusement, il y a des gens qui ne s’écoutent qu’eux-mêmes et qui écoutent les griots. Lesquels ne leur disent que ce qu’ils veulent entendre, qu’ils sont les meilleurs, le seul, l’unique... Quand on vous le dit, il faut savoir que vous avez échoué. Nous ne demandons pas du clonage, mais au moins former des gens qui te succèdent. Et le Cames est aussi là pour réguler tout ça. Pour passer professeur par exemple, il faut encadrer. Pour passer l’examen du Cames, il faut des attestations qui montrent que tu participes à des rencontres scientifiques. Il y a des gens qui viennent ici parce qu’ils aiment, mais il y en a qui viennent pour compléter leur dossier. En tout état de cause, il faut retenir que celui qui n’aura pas réussi à transmettre ses connaissances aux plus jeunes ne méritait pas son titre.

Quel message lancez-vous aux jeunes Africains ?

Qu’ils se disent que nul ne viendra développer nos pays, notre continent. Nous sommes une génération qui doit marquer notre temps, améliorer ce que nos prédécesseurs, les Senghor, les Ki-Zerbo, Houphouët avaient réalisé… Sans eux, on n’en serait pas là. Je demande donc aux jeunes de s’accrocher et de travailler dans la patience et la persévérance. Il n’y aucun secret, tout réside dans le travail bien fait.

On a parlé de création de centres d’excellence pour favoriser le brassage entre Africains. Qu’en pensez-vous ?

Quand on créait l’université de Dakar, il y avait l’apport de tous les pays africains. Nos universitaires âgés aujourd’hui entre 70 et 80 ans se sont tous retrouvés dans la même université. Cela a permis de créer des liens très solides entre eux. C’est vrai qu’on ne peut demander aux pays de ne pas créer de spécialités, mais pour le post-Doc ou même le doctorat, il faut penser à mettre en place des centres d’excellence. Je pense que des organisations comme l’UEMOA et la CEDEAO ont de bonnes politiques dans ce sens. C’est pour permettre que, si au Sénégal, par exemple, les travaux sur le cancer sont toujours développés, les autres peuvent venir se parfaire, ainsi de suite. L’idée n’est pas de créer des monopoles, mais de concentrer les moyens pour créer une génération de chercheurs très brillants, mais aussi qui apprennent à se connaitre et à travailler ensemble au profit de nos populations.

Pourriez-vous rappeler pourquoi la Soaphys a été portée sur les fonts baptismaux ?

La Soaphys est née pour combler un vide. J’avais constaté que les chimistes de la région sont organisés, les mathématiciens sont organisés au niveau africain et tous les métiers de la médecine ont des sociétés savantes. Je me suis dit que ce n’est pas normal que nous, physiciens, n’en ayons pas. J’ai alors pris l’initiative, même si je ne suis pas le plus âgé, ni du Burkina ni de la sous-région… C’est ainsi que la Soaphys est née et nous avons demandé à chacun de créer dans son pays une société nationale savante de physique et des disciplines connexes.

L’objectif est d’arriver, avec l’appui de l’UEMOA et de la CEDEAO, de réunir tous les pays de la CEDEAO. Pour le moment, il n’y a que les Francophones, mais nous espérons y arriver très prochainement. Je pense que c’est une initiative très intéressante. Avec une telle organisation, il y a des liens qui se créent, des liens personnels, des liens institutionnels. Cela permettra de mieux encadrer les étudiants. Surtout qu’avec le système LMD qui permet aux étudiants de circuler d’un pays à un autre. De même, elle contribue à renforcer la collaboration entre nos différents laboratoires, faciliter les animations de jurys de thèse. C’est une sorte d’émulation pour permettre à la physique de prendre son essor.

PAR MOR AMAR

 

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