La nébuleuse des accords de pêche
Dans le département de Mbour, près de 3000 pirogues opèrent dans les eaux à la recherche de la ressource halieutique pour toute la population sénégalaise. Durant l'année 2019, ces embarcations avaient pêché 138 513 820 kg de ressources et pour l'année 2020 130 493 860 kg. Malgré toute cette production, la pêche continue de sombrer dans des problèmes qui constituent une problématique majeure des autorités en charge de ce secteur. Les acteurs de la pêche artisanale sont toujours dans une situation de confusion face aux termes des accords de pêche signés entre l’Etat du Sénégal et l’Union européenne. Ils réclament plus de clarté dans la ce cadre.
Les accords de pêche entre l’Union Européenne et le Sénégal restent toujours un débat sans épilogue. Non pas pour leur existence qui est avérée aux yeux de tous les acteurs de la pêche, mais plutôt la lisibilité des termes de ces accords et la transparence dans le déroulement de cette entente. Déjà sur le plan du nombre de bateaux disposant d’une licence leur permettant d’opérer dans les eaux sénégalaises, c’est le flou total. « Le Président a parlé de 162, je crois le ministre lui parle de 129. Donc, quel est le bon chiffre ? Et pourtant, il y a le chiffre : c’est quoi le bon maintenant ? », s’interroge Abdoulaye Ndiaye.
Dans ce sens, renforce le Président du PANEPAS (Plateforme des Acteurs non-étatiques de la pêche artisanale et de l’aquaculture au Sénégal) : « c'est celui du Président de la République ? Celui du Ministre ou c'est celui du Directeur ? Finalement, tous les Sénégalais restent pantois. Personne ne sait comment gérer cette affaire. » Pour lui, c’est la raison de plus qui fait qu’il faut « qu'on aille vers la transparence. Et, dans le secteur de la pêche, si on veut vraiment aller de l'avant, le Président, j'avais un conseil à lui donner, je lui demanderai de convoquer un Conseil Présidentiel sur la pêche. Présidez-le, invitez tous les acteurs, on se met autour d'une table. Je crois que les solutions vont sortir », indique Abdoulaye Ndiaye.
Dans la même lancée, Gaoussou Gueye, Président de l’APRAPAM (Association pour la Promotion et la Responsabilisation des Acteurs de la Pêche Artisanale Maritime), conduit la même réflexion. Selon lui, le Président Macky Sall « a parlé de 125 bateaux qui sont sous licence au Sénégal qui appartiennent à des Sénégalais en société mixte, je suppose. Qui sont ces Sénégalais ? Comment ils ont fait pour avoir ces bateaux et dans le rapport de la DPM (Direction de la Pêche Maritime) de 2019, on nous parle de 195 bateaux. Au niveau du Ministère de la Pêche et de l’Economie maritime, on nous parle de 131 bateaux. Quel est le bon chiffre ? »
Selon M. Gueye, « le Sénégal prône la transparence jusqu’à pousser le Président de la République à prendre un engagement, en 2016, pour l’adhésion du Sénégal dans l’initiative de transparence, Fisheries Transparency Initiative (Fiti). Mais le minimum de la transparence, aujourd’hui, c’est l’accès à l’information », martèle Gaoussou. Avant de préciser : « Ce que nous, nous demandons, c’est la publication des listes des navires qui opèrent au Sénégal, en ce moment. S’ils sont en accord ou en société mixte, on saura. Ces bateaux sont dans quelles pêcheries ? Est-ce que c’est le restant de ces bateaux ? Ils sont dans le thon, les petits pélagiques ou les démersaux côtiers ? Mais, personne ne sait.’’
Et le Président de l’APRAPAM de rappeler que les démersales côtières ont été gelées, depuis 2006. « Et, à mon avis, tout ce qu’on fait au Sénégal doit être en corrélation avec les politiques publiques, à travers le PSE, la lettre de politique sectorielle qui ont défini trois cadres : la gestion durable de la ressource, la restauration des habitats et la valorisation des produits halieutiques et en faisant la promotion de l’Aquaculture. Mais, octroyer autant de bateaux là où la recherche est quasiment absente au Sénégal, parce que, depuis 2015, on n’a pas fait l’évaluation de l’état de notre ressource halieutique. Donc, sur quelle base scientifique on a renouvelé l’accord avec l’Union Européenne? Quelle a été la position de nos scientifiques? De notre recherche? Même si c’est le thon, cet accord doit être évalué d’une manière scientifique, technique et même financière. A mon avis, même si le thon n’appartient pas au Sénégal, j’insiste et je persiste qu’on doit développer une pêche artisanale thonière qui va être beaucoup plus rentable pour le Sénégal et publier une fois de plus la liste des navires qui va édifier tout le monde », renchérit-il.
A l’en croire, ce n’est qu’en ce moment que les Sénégalais sauront s’il y a 125 ou 130 ou 195 et ils sont dans quelle pêcherie. « Surtout, il ne faut pas confondre la liste des navires que nous demandons avec le registre des navires au niveau de la Commission Sous Régionale de Pêche (CSRP). Je précise que la liste des navires, ce sont les navires qui opèrent au Sénégal et le registre des navires, c’est au niveau de la commission sous régionale qui a son siège au Sénégal et qui appartiennent à sept pays. Mais, nous, ce que nous demandons, c’est la liste des navires qui opèrent dans les eaux sénégalaises, soit sous accord ou sous licence. Dans ce cas, nous saurons qui est qui ? Et qui fait quoi ? »
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USINES DE FARINE DE POISSON
« Faire la promotion des usines de farine de poisson, c'est une catastrophe pour le pays »
Le Président de l’APRAPAM a mis le doigt sur le principal problème que posent les usines de farine de poisson au Sénégal. A l’en croire, « faire la promotion des usines de farine de poisson, c'est une catastrophe pour le pays. Non seulement, pour la ressource, pour la santé des populations de là où l'usine est implantée et même au niveau de la pollution marine. » En effet, Gaoussou Guèye estime que le problème de la farine est assez simple. Dans ce sens, le Président de l’APRAPAM se lance dans une démonstration : « Pour avoir 1kg de farine de poisson, il faut avoir 5kg de poisson frais. Pour avoir 1kg de poisson d'élevage, il faut avoir 25kg de poisson frais. Hors aucune législation ne permet à une usine de farine de poisson de le faire avec du poisson frais. Et quand on a 1kg de poisson d'aquaculture, tu prends 25kg de poisson frais, une personne qui va au restaurant, qui achète ce même poisson, il le mange en moins de 20 mn. »
Dès lors, il exprime son pessimisme devant le besoin annuel en poisson des populations sénégalaises qui, dans certaines régions risquent de ne pas manger de poisson, durant toute l’année. Il explique : « On nous dit que chaque Sénégalais doit consommer 29 kg de poisson par an. Mais, ce n'est pas possible à Sédhiou où on n'arrive même pas à consommer 7kg. Donc, faire la promotion des usines de farine de poisson, c'est une catastrophe pour le pays. » Pour M. Guèye, tout cela, ce sont des éléments sur lesquels il faut réfléchir. « Est-ce que les études d'impact ont été faites normalement ? Est-ce que ça a été validé par les localités et par les populations. C'est là où se situe le problème. Là également, il y a un minimum de transparence », démontre-t-il.
De son avis, aujourd'hui, l'ensemble des Sénégalais doivent comprendre que le ‘’yaboye’’ qu'on prend pour en faire de la farine est le filet de sécurité alimentaire de nos populations. « Parce qu'aujourd'hui, nos populations n'arrivent plus à accéder aux Thiofs, aux dorades, ainsi de suite, c'est le yaboye qui leur reste. Maintenant, s'il y a des navires qui viennent prendre ces petits pélagiques, communément appelés yaboye, pour en faire de la farine de poisson, alors que ce yaboye est le poisson du peuple, ça pose problème », martèle Gaoussou Gueye.
Il précise : « C'est là que nous, nous, sonnons l'alerte. On n'est pas là pour défier qui que ce soit, mais, on sonne tout simplement l'alerte. Et l'alerte peut être compréhensible, d'autant plus que nous-mêmes, notre Etat se décarcasse pour aller chercher des licences dans les pays limitrophes pour que nos pêcheurs puissent aller pêcher. Mais, c'est parce que, bon sang, il n'y a plus de poissons dans nos eaux. Si on avait du poisson chez nous, on n'allait pas en demander ailleurs. Donc, il faut changer de paradigme, il faut changer de politique de pêche et la manière de gérer cette pêche. »
Vers les solutions !
Du côté du Service départemental de la pêche de Mbour, le Chef du service a expliqué que certaines questions ne peuvent être traitées qu’au niveau de la Direction des Pêches industrielles du Ministère de la Pêche et de l’Economie Maritime. Toutefois, Alioune Mbaye explique : « Pratiquement, on commence à sentir, de temps en temps, une baisse de production de petits pélagiques, c'est-à-dire les sardinelles et autres. On a senti cette baisse durant ces deux années », informe-t-il. Pour lui, cela est dû d’abord au changement climatique, mais, « on parle aussi de surpêche, on a quand même beaucoup de pirogues. La tendance maintenant, c'est de construire de très grandes pirogues. L'autre aspect, c'est l'accès à la ressource. Je veux dire l'effort de pêche augmente. Donc, le poisson est un peu agressé, s'y ajoute maintenant le changement climatique qui fait que le pêcheur qui devait faire 30 jours de mer, avec les alertes météo, son temps de mer diminue, il fera 15 ou 20 jours en mer. Ce qui fait que la présence en mer diminue et cela se répercute sur les débarquements ».
Selon le Chef du Service des Pêche du département de Mbour, le projet du gouvernement de remplacer les pirogues en bois en navire en fibre de verre pourrait être une piste à de solution pour les nombreux problèmes de la pêche au Sénégal. « Oui ça peut être une solution parce que déjà, je parlais tantôt du changement climatique, la mer est agitée souvent. Ce qui fait qu’il y a énormément d'accidents qu'on a constaté aujourd'hui. Donc, avec ces embarcations en fibre de verre on va vers la diminution des accidents, car les pirogues en bois peuvent se casser mais avec mes fibres de verre, il y a la sécurité, mais aussi, il y a la qualité du poisson et ça poussera les pêcheurs d'aller dans des zones beaucoup plus lointaines que d'habitude », soutient Alioune Mbaye.
En attendant, les acteurs attendent le conseil présidentiel sur la pêche, annoncé par le Chef de l’Etat, en mars dernier.
IDRISSA AMINATA NIANG