M. Hollande, hier encore j'étais socialiste…
Ce n'est pas sans une certaine émotion que je m'adresse à vous, M. le président de la République française. Une émotion moins liée à votre actuelle fonction qu'à votre parcours de militant socialiste, de Premier secrétaire du Parti socialiste et, pour finir, de candidat socialiste vainqueur d'une élection présidentielle française que, selon l'usage et la tradition, nous, Africains francophones, avons suivie avec attention. Vous vous êtes engagé à mettre fin à des relations marquées par la corruption, le paternalisme et des accords économiques qui ne font que favoriser des situations monopolistiques au détriment des intérêts de mon peuple.
Louis Massignon disait que la vraie, la seule histoire d’une personne humaine, c’est l’émergence graduelle de son vœu secret à travers sa vie publique.
Alors, si vous avez souhaité pour l’Afrique cette liberté que vous chantez dans vos hymnes, ce respect de la dignité humaine, et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes énoncé dans votre constitution, l’occasion vous est donnée aujourd’hui d’opérer les changements qui s’imposent pour enfin joindre la parole et l’action.
Dans quelques heures, en route pour Kinshasa, vous prononcerez chez moi, à Dakar, un discours qui, à n'en pas douter, effacera la désagréable impression laissée par les insinuations maladroites de votre prédécesseur, Nicolas Sarkozy, qui lors de son unique visite au Sénégal en Juillet 2007, n’a rien fait pour éviter de nous insulter. Cela semble essentiel aux yeux des Français et pas hors de portée intellectuellement, vous allez y arriver, et ce faisant vous donnerez une suite à ce que Martine Aubry déclarait au Forum social de Dakar : «Ce que le marché a détruit, ce que l’argent a pourri, ce que la finance a dérobé aux entreprises et aux salariés, ce que le productivisme a abîmé sur notre planète, seuls la politique et un autre modèle de société peuvent le restituer. L’heure n’est plus à proposer des adaptations au système, il faut en changer. La crise est totale, la réponse doit être globale.» L’heure n’est plus aux déclarations de principes jamais suivies d’effets, au monde des intentions et des chiffres.
Votre discours aura la double vertu de vous distinguer de Nicolas Sarkozy et de minorer la portée de l'inévitable rencontre avec le président de la République démocratique du Congo, Joseph Kabila. Nous savons, nous sommes "connectés", les hésitations et tergiversations qui ont été les vôtres : légitimer ou pas par votre présence une élection congolaise, celle de Joseph Kabila, guère plus convaincante aux yeux du monde libre que celles d'Ali Bongo ou d'Alassane Ouattara.
Il y a si longtemps que, comme vous, nous réduisons l'Afrique à sa seule francophonie, pour ne pas dire à la zone Franc.
Au moment où, suite à l'élection de Mme Zuma à la Présidence de la Commission de l'Ua, l'Union devient réellement africaine, et non plus seulement francophone, la plupart de nos ministres et secrétaires d'État célèbrent à Paris, avec M. Moscovici, le quarantième anniversaire d'Accords économiques qui ne font que consacrer la pérennité du franc CFA (Colonies Françaises d’Afrique). Or notre salut passera nécessairement par la création d’une monnaie africaine, car nul pays ne peut prétendre être souverain s’il n’émet pas sa propre monnaie, sans intérêt et sans dette. Comme le disait si bien Meyer A. Rothschild, le fondateur de la plus grande dynastie bancaire en Europe : « Permettez-moi d’émettre la monnaie d’une nation, et je me fiche de qui fait ses lois.» Dès lors, la France, contrôlant l’émission de notre monnaie, contrôle toutes les politiques de notre nation.
Vous conviendrez qu’il faudra plus qu’un discours pour changer la nature de nos relations. Énoncer les principes d’un nouveau départ fondé sur le respect mutuel entre nos deux peuples et non plus sur la «francophonie», la «coopération» ou tout autres rapports de subordination.
Lorsque vous serez à Dakar, M. Hollande, quittez la grande route et les éternels boulevards à flics, entrez dans le cœur de la ville et allez découvrir l’envers du faste protocolaire à travers le contraste entre la rutilance de nos ministres dans leurs Mercedes neuves et l’état de nos écoles publiques, de nos infrastructures, de nos hôpitaux et notre inexistence industrielle !
Vous comprendrez alors pourquoi tant d’hommes et de femmes sont partis et vous verrez surtout le mal qu’une corruption endémique nous a fait et l’ampleur du divorce, ici, entre l’individu et l’Etat.
Puisqu'il ne manquera évidemment pas de venir à votre rencontre et que je ne doute pas de votre bénéfique influence sur lui, vous serait-il possible, M. le président, de demander à votre camarade de l'Internationale socialiste Ousmane Tanor Dieng, qui se trouve depuis douze ans être le Secrétaire général du Parti socialiste au Sénégal, et qui, depuis douze ans aussi, a perdu rigoureusement toutes les élections auxquelles il a conduit le parti, de bien vouloir vous expliquer pourquoi les membres de "son" bureau politique, réunis "soviétiquement", ont sans aucune explication tangible prononcé mon exclusion du parti.
Avec toute la cordialité dont est capable un Sénégalais qui était encore socialiste il y a quelques jours.
Malick Noël SECK
Secrétaire Général de
Convergence Socialiste
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