Publié le 27 Nov 2024 - 17:18
GRÈVES DANS LE SECTEUR DE LA SANTÉ ET DANS LES UNIVERSITÉS

Le régime face à un front social en ébullition

 

Le climat social au Sénégal traverse une période de turbulences marquées par des grèves et des revendications multiples dans divers secteurs. Les tensions sociales mettent à l’épreuve la capacité du nouveau gouvernement à répondre efficacement aux attentes de la population. Deux secteurs particulièrement affectés sont la santé et l’enseignement supérieur où des mouvements de protestation traduisent un profond malaise.

 

Depuis une semaine, Sogui Guèye fait la navette entre Keur Massar Sud et l’hôpital de Pikine pour soigner son enfant âgé de moins de 5 ans. Un objet étranger coincé dans l’oreille gauche nécessite une intervention, mais la grève des médecins internes ralentit tout. ‘’Il y a énormément de monde et le service est très lent. Je suis venu ici à cinq reprises, sans résultat’’, témoigne-t-il, exaspéré.

Cette grève, entamée par les internes et anciens internes des hôpitaux, illustre les failles d’un système de santé sous pression. Le secrétaire général de l’Association des internes et anciens internes des hôpitaux du Sénégal (AIAIHS), Goumbo Diop, pointe du doigt plusieurs doléances : reconnaissance de leur statut, vétusté des logements et précarité professionnelle. ‘’Nous n’avons aucune reconnaissance officielle des autorités administratives’’, déplore-t-il lors d’une conférence de presse au CHU de Fann.

Les conditions de travail sont décrites comme intolérables, avec des logements insalubres et des salaires insuffisants. ‘’Nos salaires actuels ne correspondent pas à notre responsabilité’’, ajoute-t-il.

Un climat de tension croissante

Les internes exigent également une revalorisation des primes et un statut clair pour leur profession. Mais la situation a empiré depuis le 22 novembre, date à laquelle une marche a été interdite par la préfecture. ‘’Nous estimons que l’héritage démocratique de ce pays aurait dû pousser les autorités à faciliter l’exercice de nos droits et libertés’’, déclare l’Intersyndicale des spécialistes en formation, regroupant des organisations comme le Collectif des médecins, pharmaciens et chirurgiens-dentistes en spécialisation (Comes).

Pour Mariétou Sarr, interne en gynécologie-obstétrique, les conditions sont encore plus difficiles pour les femmes enceintes. ‘’Elles travaillent jusqu’à terme sans congé de maternité. Ce sont des conditions inadmissibles’’.

La grève des internes s’ajoute à une série de mouvements similaires dans le secteur de la santé, soulignant une crise systémique.

L’enseignement supérieur en ébullition

Le Syndicat autonome de l’enseignement supérieur (SAES) a tiré la sonnette d’alarme à l’issue de la réunion de son Bureau national (BN) tenue le vendredi 22 novembre 2024 à Dakar. Au cœur des préoccupations : une série de manquements et de promesses non tenues par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (Mesri), menaçant gravement la stabilité des universités publiques sénégalaises.

Le SAES pointe du doigt le non-respect des engagements pris par le ministre de tutelle lors de ses tournées dans les universités publiques. Les enseignants-chercheurs dénoncent une perturbation continue des activités pédagogiques, amplifiée par des mesures annoncées, mais jamais appliquées, notamment celles issues du séminaire sur la stabilisation du calendrier académique.

Plus grave encore, le syndicat souligne la violation de l’article 3 de la loi 2015-26 sur les universités publiques et de l’article 2 du décret 2016-1805 concernant l’orientation des bacheliers. Le Mesri est accusé d’envoyer, sans accompagnement adéquat, des cohortes de nouveaux étudiants dépassant largement les capacités d’accueil définies par les instances académiques.

Les retards de paiement des salaires dans les universités publiques demeurent une préoccupation majeure. Le SAES dénonce également le non-reversement au Fonds national de retraite (FNR) des cotisations pourtant prélevées sur les salaires des enseignants. Ces manquements financiers mettent en péril non seulement les conditions de travail, mais aussi les droits des enseignants.

Un point particulièrement sensible concerne la pension de réversion. Selon le SAES, le décret modifiant celui de 2020 sur l’allocation spéciale de retraite, pourtant adopté en Conseil des ministres en février, aurait été ‘’mystérieusement perdu dans les méandres de l’Administration’’. Malgré les promesses répétées de sa réintroduction par le Mesri, aucune signature n’a été actée.

Pour le SAES, cette situation est inacceptable. ‘’La réversion des pensions est une question de justice et d’équité non négociable’’, a rappelé la délégation du syndicat lors d’une audience avec le Haut conseil du dialogue social (HCDS) le 21 novembre.

Face à ces défis persistants, le SAES souligne l’urgence d’une solution durable. Le syndicat appelle l’ensemble de ses militants à se mobiliser dans les prochains jours pour obtenir des réponses concrètes. ‘’La lutte continue pour la défense des acquis et l’instauration d’une véritable justice dans l’enseignement supérieur’’, a martelé le BN du SAES.

La situation actuelle, marquée par une insuffisance des infrastructures, un déficit d’enseignants et des budgets inadéquats, compromet sérieusement la stabilité académique. Le SAES reste ferme : sans réponses concrètes du Mesri, la tension dans les universités sénégalaises risque de s’aggraver, menaçant l’avenir de milliers d’étudiants.

L’université Assane Seck de Ziguinchor : un baromètre de la colère étudiante

À l’université Assane Seck de Ziguinchor, où de violents affrontements ont éclaté entre étudiants et forces de défense et de sécurité, la tension a atteint son paroxysme hier mardi. Au moins deux étudiants ont été blessés lors des échauffourées ; l’un atteint au visage par une grenade lacrymogène, l’autre blessé après une chute lors d’une course-poursuite avec la police. Trois étudiants ont également été interpellés dans la foulée.

Les troubles ont éclaté dès la matinée, plongeant le campus dans un climat de haute tension. Les étudiants, en colère, réclament la livraison des infrastructures du campus social, un projet qui traîne depuis des mois. La situation, déjà tendue le week-end précédent, a dégénéré malgré les appels au dialogue.

Pourtant, un vent de décrispation semblait souffler sur l’université. Après les incidents du week-end, un calme précaire s’était instauré ce mardi matin. D’après la RFM, des pourparlers auraient été entamés entre les étudiants et les autorités universitaires pour trouver des solutions concrètes aux doléances.

Les étudiants espèrent désormais des actions urgentes pour désamorcer la crise, alors que les tensions risquent de ressurgir si les engagements ne sont pas respectés. Les regards se tournent vers les autorités pour éviter que le campus de Ziguinchor ne devienne, une fois de plus, le théâtre de violences prolongées.

Pour beaucoup d’observateurs, les grèves successives dans des secteurs clés comme la santé et l’éducation révèlent une crise systémique qui ne pourra être résolue par des mesures temporaires. Il s’agit d’une épreuve de crédibilité pour un Exécutif qui a promis des réformes profondes et une gestion plus transparente.

Pour rappel, la grève des agents des collectivités locales continue de paralyser les services municipaux à travers le pays. Malgré plusieurs tentatives de médiation, aucune solution concrète n'a encore été trouvée, plongeant les communes dans une situation préoccupante. Les agents réclament toujours l’application stricte des accords signés avec le gouvernement, notamment en ce qui concerne la revalorisation salariale et l’amélioration de leurs conditions de travail.

Le climat social au Sénégal met en lumière des défis structurels profonds. La grève des médecins internes et les tensions dans l’enseignement supérieur sont symptomatiques d’un malaise plus large lié à la gouvernance et à la gestion des services publics.

Le gouvernement a une opportunité unique de restaurer la confiance en répondant de manière concrète et transparente aux revendications légitimes des citoyens. L’avenir du pays dépend de sa capacité à instaurer un dialogue sincère et à mettre en place des réformes durables.

Amadou Camara Gueye

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