Publié le 28 Apr 2025 - 10:43
RELATIONS TUMULTUEUSES ENTRE BARTHELEMY DIAS ET KHALIFA SALL

Chronique d'une rupture politique annoncée

 

Le Sénégal politique regorge de duels feutrés, de ruptures silencieuses et de réconciliations inachevées. Mais entre Khalifa Sall et Barthélémy Dias, anciens compagnons de lutte contre le régime de Macky Sall, l'histoire prend une tournure plus complexe, presque théâtrale. Entre ambitions personnelles et héritage partagé, la rupture semble inévitable, même si les mots restent mesurés. Cette alliance, longtemps symbole d'un socialisme sénégalais renouvelé, vacille aujourd'hui sous le poids des non-dits, des stratégies divergentes et des échéances électorales qui se rapprochent. 

 

"Je ne l'ai pas assez dit, Khalifa Ababacar Sall est un homme singulièrement bon. C'est un homme de valeur et une référence. Il reste un homme d'État, pour l'État et pour l'avenir." Ces mots, empreints de respect et d'admiration, sont signés Moussa Tine, ancien compagnon de route de Khalifa Sall, lors du congrès de son parti, l'Alliance Démocratique/PENCOO. Mais derrière cet hommage appuyé, une absence remarquée : celle de Barthélémy Dias, longtemps considéré comme le bras droit de Khalifa Sall et figure centrale de la plateforme Taxawu Sénégal.

Depuis plusieurs mois, les relations entre les deux anciens alliés semblent se déliter, emportées par des tensions latentes et des divergences stratégiques, exacerbées lors des élections législatives anticipées de novembre 2024. Un scrutin qui, plutôt que de renforcer leur alliance historique, a mis en lumière leurs désaccords profonds sur l'orientation politique à adopter.

Barthélémy Dias, maire de Dakar et chef de file de la coalition Samm Sa Kaddu, a mené tambour battant une campagne marquée par une présence forte sur le terrain. Cependant, l'implication de Khalifa Sall dans cette dynamique électorale a été perçue comme minimaliste, voire inexistante, selon certaines sources internes. "Je ne pense pas qu'il ait accompagné Barth dans sa tournée à l'intérieur du pays", confie un proche du cercle politique dakarois.

Cette distance s'est traduite par un engagement en demi-teinte de plusieurs lieutenants de Khalifa Sall, notamment à Grand Yoff, fief traditionnel de Barthélémy Dias. Les résultats mitigés de la coalition dans cette circonscription en sont l'illustration la plus parlante, confirmant un désamour croissant entre les bases respectives des deux leaders.

À en croire plusieurs observateurs, le passage de témoin entre Khalifa Sall et Barthélémy Dias n’a pas été de tout repos. Si officiellement, l’ancien maire de Dakar semblait vouloir céder la place à la nouvelle génération, certaines indiscrétions évoquent un processus imposé par Barth, convaincu que son mentor devait se mettre en retrait. Des tractations avaient déjà été engagées par Khalifa avant d’être mis devant le fait accompli par son successeur présumé.

Ainsi une frange importante des cadres de Taxawu Sénégal, historiquement fidèles à Khalifa Sall, a préféré prendre ses distances, refusant de suivre Barthélémy Dias dans sa nouvelle aventure politique. Ce désaccord profond a culminé avec les défections successives de figures de proue du mouvement.

Vague de départs et contestations internes

En août 2024, 26 membres influents de Taxawu Sénégal ont annoncé leur démission collective, dénonçant un manque de cap clair et l'exclusion progressive des cadres historiques du mouvement. Abba Mbaye, ancien député et ex-prétendant à la mairie de Saint-Louis, a été parmi les premiers à claquer la porte. Plus récemment, Sadaga Gueye, Responsable Communal des jeunes de Taxawu à Niassène, a rejoint le Pastef, motivant son départ par l'absence de perspectives offertes par la plateforme.

Dans une déclaration sans détour, Sadaga Gueye a dénoncé une centralisation excessive des décisions à Dakar, au détriment des militants de l’intérieur du pays : "Taxawu est devenu un parti sans ambition où les prétendants leaders qui pourraient assurer la relève sont écartés ou contraints à la démission."

Malgré ces signaux de rupture, ni Khalifa Sall ni Barthélémy Dias n'ont officialisé cette distanciation grandissante. Le premier continue de maintenir une posture d'homme d'État en retrait, préférant cultiver une image de sage, tandis que le second s’emploie à affirmer son leadership, quitte à s’affranchir de l’héritage politique de son mentor.

Cette cohabitation ambiguë illustre les limites des alliances basées davantage sur des affinités personnelles que sur une vision politique partagée. Dans un contexte sénégalais marqué par une recomposition permanente du paysage politique, la rupture entre ces deux figures majeures du socialisme sénégalais pourrait bien redessiner les équilibres en vue des prochaines échéances électorales.

La suite du feuilleton politique reste suspendue à une éventuelle clarification entre les deux hommes. Mais une chose est certaine : l'idylle politique entre Barthélémy Dias et Khalifa Sall appartient désormais au passé.

Barthélémy Dias – Khalifa Sall : la fracture politique s’élargit

Pour de nombreux cadres politiques, le divorce entre Barthélémy Dias et Khalifa Sall semble de moins en moins évitable. La dynamique du tandem, qui a longtemps donné une allure cohérente au projet politique de Taxawu Sénégal, s’effrite au fil des mois. En cause, l’attitude jugée « cavalière » de Barthélémy Dias, qui aurait, selon plusieurs proches du mouvement, d’ores et déjà annoncé ses ambitions présidentielles pour 2029, sans concertation avec les instances du parti ni véritable coordination avec Khalifa Sall. Ce choix, perçu comme précipité et individualiste, cristallise les tensions entre les deux figures du socialisme sénégalais.

En décidant d’annoncer officieusement sa volonté de briguer la magistrature suprême, Barthélémy Dias a pris de court bon nombre de cadres de Taxawu Sénégal. Aucun congrès, aucune instance délibérative n’avait alors validé cette orientation. Certains parlent même d’un passage en force, orchestré avec un cercle restreint de collaborateurs. Une méthode qui tranche avec la tradition collégiale qu’avait jusqu’ici prônée Khalifa Sall.

« Barth mène sa barque avec ses fidèles, sans tenir compte des anciens compagnons du parti », confie un cadre de Taxawu, sous couvert d’anonymat. Pour lui, cette stratégie isole davantage Dias et risque de fracturer encore plus le mouvement. « Il n’a consulté personne pour ses projets, il avance à son rythme et selon ses intérêts », ajoute-t-il.

La relation entre les deux hommes, bien que préservée sur un plan personnel par leur passé commun et les luttes qu’ils ont menées ensemble contre le régime de Macky Sall, s’est profondément fissurée politiquement. À l’heure actuelle, il s’agit d’une crise larvée, contenue mais bien réelle, qui pourrait s’amplifier au fil des mois à mesure que l’horizon politique de 2029 se rapprochera.

La perte de la mairie de Dakar : un coup dur pour Barthélémy Dias

L’un des éléments qui a contribué à fragiliser la position de Barthélémy Dias est sans conteste la perte de la mairie de Dakar. Ce poste stratégique, qui lui conférait une visibilité nationale et internationale, ainsi qu’un pouvoir d’influence notable, était son principal levier politique. Le siège de maire lui permettait de s’imposer dans le paysage politique comme l’un des rares opposants crédibles face au pouvoir central.  

« La mairie de Dakar, c’était son tremplin, son socle. Sans ce mandat, il perd une plateforme essentielle pour rayonner », analyse le journaliste Mamadou Ndiaye. Cette perte a rebattu les cartes, poussant certains à remettre en cause la pertinence de son leadership au sein de l’opposition.

Face à ce vide laissé par Barthélémy Dias, Khalifa Sall, malgré son âge avancé (69 ans), ne s’est pas totalement effacé. Bien au contraire, l’ancien maire de Dakar a profité de l’affaiblissement de son ancien poulain pour revenir sur le devant de la scène politique en consolidant une coalition d’opposition face au nouveau régime de Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko.

Le 2 février 2025, plusieurs formations politiques, dont l’Alliance pour la République (APR), la Ligue démocratique (LD), le Parti international du travail (PIT), Taxawu Sénégal, le Parti socialiste (PS) et l’Alliance des forces de progrès (AFP), se sont réunies au siège de Taxawu pour jeter les bases d’un cadre unitaire. Ce projet est piloté par un comité d’initiative dirigé par Khalifa Sall, démontrant son rôle central dans la réorganisation de l’opposition sénégalaise.

Khalifa Sall : une candidature encore possible ?

À 69 ans, Khalifa Sall n’a pas renoncé à ses ambitions présidentielles. En 2029, il aura 74 ans, ce qui le maintient dans le champ des possibles pour une candidature. Son âge avancé pourrait toutefois être un handicap dans un contexte où la population sénégalaise, majoritairement jeune, aspire à un renouvellement générationnel. Mais son expérience politique et son image d’homme d’État modéré pourraient jouer en sa faveur dans une arène politique polarisée.

Reste à savoir comment il choisira de se positionner dans les années à venir. Ira-t-il jusqu’à officialiser une nouvelle candidature à la présidence ou se contentera-t-il de jouer les faiseurs de roi en soutenant un candidat issu de la plateforme d’opposition qu’il dirige ? La question reste en suspens.

Dans ce contexte, Barthélémy Dias devra composer avec un régime Diomaye-Sonko encore solide dans l’opinion publique. Malgré les défis économiques, le nouveau pouvoir bénéficie toujours d’une popularité importante, portée par les attentes de changement et de rupture avec l’ancien système.

L’ancien maire de Dakar, privé de sa base institutionnelle, se retrouve face à un dilemme : reconstruire un réseau local et national capable de le soutenir en vue de 2029 ou accepter de s’inscrire dans un cadre unitaire où il devra partager l’affiche avec d’autres figures, à commencer par Khalifa Sall.

L’épreuve de vérité viendra avec les élections locales prévues en 2027, qui constitueront un test pour mesurer la capacité de mobilisation de Barthélémy Dias. Sans une victoire significative dans ces scrutins, sa candidature présidentielle pourrait être compromise, faute de base électorale solide.

Une opposition fragmentée face à un régime hégémonique

Le cas de Khalifa Sall et Barthélémy Dias illustre plus largement les fractures internes de l’opposition sénégalaise. Entre leaderships concurrents, projets politiques divergents et stratégies personnelles, l’opposition peine à se fédérer face à un régime Diomaye-Sonko qui, lui, consolide ses positions. La plateforme de Khalifa, bien qu’ambitieuse sur le papier, devra surmonter les rivalités internes pour peser réellement.

Le chemin de la réconciliation entre les deux socialistes paraît semé d’embûches. Même si les relations personnelles restent cordiales, le fossé politique se creuse, alimenté par les ambitions non alignées et les calculs stratégiques. Cette situation risque de fragiliser davantage un camp politique qui a, pourtant, besoin d’unité pour espérer inquiéter le pouvoir en place.

Les quatre prochaines années seront déterminantes : elles diront si Khalifa Sall et Barthélémy Dias peuvent trouver un terrain d’entente ou si leur rupture définitive actera l’éclatement du courant socialiste dans l’opposition sénégalaise.

 AMADOU CAMARA GUEYE

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