Charles Blé Goudé, l'heure des comptes
Arrêté au Ghana jeudi 17 janvier, Charles Blé Goudé a été transféré en Côte d’Ivoire où il est détenu depuis vendredi. La question de son éventuel transfèrement devant la Cour pénale internationale (CPI) reste entière.
« À l'occasion d'une opération policière conjointe de la Côte d'Ivoire et du Ghana, M. Charles Blé Goudé a été appréhendé, le jeudi 17 janvier 2013. Il est actuellement détenu en Côte d'Ivoire par les services de la police ivoirienne, dans le cadre de la poursuite des procédures judiciaires déjà ouvertes contre lui en Côte d'Ivoire ». Un bref communiqué officiel, lu vendredi soir à la télévision publique : c'est l’unique déclaration du gouvernement ivoirien concernant l’arrestation du leader des Jeunes patriotes.
Moins de 24 heures après son arrestation au Ghana, Charles Blé Goudé a été extradé en Côte d’Ivoire, vingt mois après son exfiltration d'Abidjan juste avant la chute de Laurent Gbagbo. Cueilli jeudi vers 9 heures par la police dans une maison de Tema (banlieue d'Accra), il avait été transféré dans les locaux du Bureau national des investigations (BNI). Ses proches avaient alors donné l'alerte, et tous ses soutiens, de Jerry Rawlings, l'ex-président ghanéen, aux chefs d'État d'Afrique du Sud, d'Angola, du Cap-Vert ou de Gambie, ont été informés.
Surprise
Cette arrestation a surpris. Même si les autorités ghanéennes et les services étrangers savaient que Blé Goudé résidait au Ghana et qu'un mandat d'arrêt ivoirien avait été émis, elle n'était pas à l'ordre du jour. L'ex-« général de la rue » était même en pourparlers avec le président sénégalais Macky Sall - agissant à la demande d'Alassane Ouattara - afin de négocier sa participation à la réconciliation nationale et un éventuel retour au pays. Le matin de son interpellation, ses camarades à Abidjan étaient en réunion avec Mamadou Touré, le conseiller à la Jeunesse du chef de l'État. Blé Goudé avait lancé en décembre un parti politique, le Congrès panafricain pour la justice et l'égalité des peuples (Cojep). Il avait aussi entrepris une offensive diplomatique et rencontrait des dirigeants africains dans la sous-région.
Extradé en Côte d'Ivoire, Charles Blé Goudé peut-il être jugé devant la Cour pénale internationale (CPI), dont on ignorait encore lundi si elle avait demandé son transfèrement à la Haye ? « Le procureur m’a écrit, refusant d’infirmer ou de confirmer cette information », a déclaré son avocat, Me Nick Kaufman dans un communiqué daté du 19 janvier. « La CPI le soupçonne d'avoir commis, comme Laurent Gbagbo, des crimes contre l'humanité lors des violences postélectorales », avait-il expliqué.
Terreur
« Pendant près d'une décennie, les miliciens et patriotes de Blé Goudé ont terrorisé les Ivoiriens du Nord et les immigrés ouest-africains en perpétrant des violences selon des critères ethniques et politiques », a déclaré Corinne Dufka, de l'ONG Human Rights Watch. Et de citer un discours télévisé du 25 février 2011 où Blé Goudé appelait ses partisans à ériger des barrages et à dénoncer les étrangers. Des accusations réfutées par ses proches. « Il s'est toujours inscrit dans une démarche de réconciliation, indique Patrice Kouté, représentant européen du Cojep. En 2006, il a demandé à ce que l'on ne perturbe pas les audiences foraines [juridictions hors les murs, NDLR]. Un an plus tard, il a invité les rebelles dans son village. Il est aussi à l'origine des caravanes pour la paix. »
Ancien leader estudiantin, Blé Goudé est devenu célèbre en novembre 2004 à la suite de la destruction de la flotte aérienne ivoirienne par l'armée française. « Si vous êtes en train de manger, arrêtez-vous. Si vous dormez, réveillez-vous, avait-il lancé à la télévision nationale. L'heure est venue de choisir entre mourir dans la honte ou dans la dignité. »
S'ensuivirent des manifestations violentes qui lui vaudront une interdiction onusienne de voyage et le gel de ses avoirs. Très impliqué dans les actions de réconciliation après la signature de l'accord politique de Ouagadougou en 2007, il s'est engagé corps et âme dans la campagne présidentielle. Pour poursuivre la lutte, Gbagbo le nommera ministre de la Jeunesse en décembre 2010.
j.a