Publié le 9 Feb 2020 - 04:29
DR DIALO DIOP, ANCIEN SG RND

‘’Cheikh Anta n’a pas besoin qu’on l’appelle le ‘Pharaon du savoir’’’

 

Le 7 février marque l’anniversaire du décès de Cheikh Anta Diop. Trente-quatre ans après sa disparition, le ‘’Pharaon du savoir’’ semble de plus en plus présent dans le cœur des Africains et de la diaspora noire, grâce à ses œuvres.  Trouvé à l’Espace numérique ouvert de Dakar (Eno) sis à Mermoz, lors d’une cérémonie d’hommage en l’honneur du savant noir, l’ancien secrétaire général du RND (parti politique fondé par Cheikh Anta Diop), par ailleurs médecin biologiste à la retraite, Dr Dialo Diop, revient, entre autres sujets, sur l’actualité de la pensée politique et culturelle de Cheikh Anta Diop et explique pourquoi ses pensées ne sont pas enseignées dans les universités sénégalaises. Entretien.  

 

Trente-quatre ans après la disparition de Cheikh Anta Diop, que peut-on tirer de ses enseignements par rapport à l’actualité politique africaine ?

Ceux qui se sont intéressés à la pensée politique de Cheikh Anta Diop découvrent, avec ravissement, que la validité scientifique de ses travaux de recherche en histoire, langue, sociologie et en philosophie demeure pleine et entière. En 1960, immédiatement après avoir soutenu sa thèse, il rentre au Sénégal et publie un ouvrage intitulé ‘’Les fondements économiques et culturels d’un Etat fédéral d’Afrique noire’’. Dans cet ouvrage, il dit que si l’Afrique veut se redresser et recouvrer la maitrise de sa propre destinée, elle doit s’unir politiquement sur le modèle fédéral. Sinon, elle est condamnée à la ‘’sud-américanisation’’.

Soixante ans après, cette prédiction s’est vérifiée jusqu’à la caricature. L’Afrique ne s’est pas fédérée, elle s’est sud-américanisée jusqu’à la cocaïnisation. C’est la cocaïne des Sud-Américains que nous recyclons sur toute la côte de notre continent. De l’Angola jusqu’au Maroc. C’était la zone de transit. Maintenant, c’est devenu une zone de redistribution.    

Cheikh Anta avait évoqué la question de la sécurité qui, pour lui, précède le développement. Aujourd’hui, il y a le G5 Sahel qui essaie de contrecarrer les desseins des terroristes. Quelle lecture avez-vous par rapport à cela ?

La question sécuritaire est devenue un slogan que tous les chefs d’Etat reprennent, mais qu’ils sont incapables d’appliquer et de mettre en œuvre. Pour le G5 Sahel, il a fallu que Macron leur demande de le créer pour qu’ils le fassent. Ils sont 5 (pays) alors que le réflexe pour se défendre devant l’agression, c’était d’unir les forces. Pourquoi la Mauritanie fait partie du G5 Sahel et pas le Sénégal, la Gambie, la Guinée, etc. ? Cela n’a pas de sens. Il faudra qu’il y ait un attentat, comme ce fut le cas au Grand Bassam de Côte d’Ivoire, pour qu’on dise qu’il faut ajouter le Sénégal. On est dans la dépendance jusqu’à présent et on est dans le mimétisme. Nous continuons à faire ce qui se faisait avant l’indépendance. Ça me rappelle la phrase du général belge qui avait provoqué la mutinerie de la force publique immédiatement après l’indépendance apportée par Lumumba. Il fait un cours devant ses hommes et dit qu’avant l’indépendance égale après l’indépendance. C’était de la provocation, mais ce n’est pas faux.

Cela nous plonge dans vos combats les plus actuels. Par rapport à la politique, le lien est-il déjà trouvé pour dire que pour faire valoir ces idées-là, il faut s’accaparer de l’appareil d’Etat ?

Justement, l’une des contributions substantielles de Cheikh Anta Diop à la pensée politique panafricaniste, c’est de montrer que nous ne pouvons pas réformer les Etats coloniaux que nous avons hérités de l’impérialisme berlinois : la fragmentation du continent. Nous devons repenser un nouveau type d’Etat continental. Et il dit que l’Afrique est confrontée à une tâche sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Que toutes les autres grandes fédérations de l’histoire de l’humanité se sont construites dans le fer, le feu et le sang (la violence). Pour lui, l’Afrique va devoir se fédérer et s’unir, non pas par la force, mais par la persuasion. On doit amener nos compatriotes africains à comprendre que c’est notre intérêt collectif de nous unir et de nous souder en un seul bloc, sous une direction de lutte, et donc avoir un Etat qui soit radicalement différent de l’Etat colonial ‘’nègrifié’’ que nous avons hérité, par exemple, des Français.

Les populations africaines ont tendance à vouloir aller dans cette direction-là. La faille ne se trouverait pas au niveau de la classe dirigeante ?

C’est pour cela que Cheikh Anta a également dit que si les classes dirigeantes échouent à faire fédérer l’Afrique, alors c’est une lame de fond qui partira des bases populaires et fera comme un raz-de-marée pour imposer l’unification, parce que ça sera devenu une question de survie pour nos peuples.

Est-ce que c’est cela qui explique la naissance de certains mouvements tels que France dégage ?

Ce sont des prémices. Il faut que ça soit des mouvements organisés et coordonnés à une échelle continentale.

Croyez-vous que l’approche culturelle, qui est d’une importance capitale, a été peu perçue ?

Cheikh nous a expliqué pourquoi nous devons nous réunifier sur la base de la persuasion et non sur celle de la violence. Parce qu’au-delà de nos diversités apparentes, il y a une profonde unité culturelle des peuples africains. Nous sommes le seul continent au monde où le désir d’unité des populations est aussi fort. Il est lié à notre sentiment d’avoir subi le même sort stoïquement, au moins dans les temps modernes. Mais Cheikh nous montre que c’est un sort commun, depuis l’origine de l’humanité. Et que c’est sur ça que nous devons nous appuyer. Mais la clé, c’est de nous doter d’une langue de travail. Et, bien sûr, ça ne tuera pas les autres langues, parce que nous ne sommes pas sectaires, exclusivistes, mais nous voulons être opérationnels. Aujourd’hui, la langue la plus utilisée dans le monde, ce n’est plus l’anglais ; c’est le mandarin. Dans toutes les universités du monde, les gens manifestent leur envie d’apprendre le chinois. C’est parce que la Chine a renversé les rapports de force à l’échelle mondiale. Et l’Afrique pourrait faire pareil.

Actuellement, est-ce qu’il est facile de trouver une langue d’unification ?

Oui, les intellectuels africains ont travaillé sur ça. Et c’est depuis le 1er Congrès des écrivains et artistes noirs de Paris, en 1956. On dit que c’est le kiswahili qui est la langue la plus apte qui soit pour cela. En outre, en Afrique, on a plus de locuteurs de kiswahili que d’Anglophones et de Francophones réunis (quantitativement).

Vous luttez pour que les ouvrages de Cheikh Anta soient enseignés. Et vous avez évoqué un projet qui a été bloqué. De quoi s’agit-il exactement ?

C’était la pétition de nos compatriotes du Canada, qui ont recueilli des dizaines de millions de signatures et qui ont fait initier une procédure par l’Inspection générale de l’éducation nationale et non pas, malheureusement, par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique.  

En effet, c’est l’éducation nationale qui a fait les fiches pédagogiques, mais le blocage se trouve dans la décision de commencer à enseigner l’œuvre de Cheikh Anta. Parce qu’elle fait peur.

Pourquoi est-ce qu’elle fait autant peur ?

Parce qu’elle émancipe, libère les esprits. Elle déverrouille l’esprit créateur chez les Africains. Et c’est la caractéristique de tous les gens qui lisent Cheikh Anta. Ils disent qu’ils ne sont plus les mêmes, après avoir lu ‘’Nation nègre et culture’’. Les œuvres de Cheikh Anta Diop ne sont pas enseignées au Sénégal, à cause de l’adversité politique et le veto de l’académie des Français. Ce n’est pas l’institution académique française, mais de l’université française. Ils se sont rendu compte de la portée subversive, au sens propre et positif, des thèses de Cheikh Anta Diop. Et ils préfèrent qu’elle soit méconnue et ignorée par les jeunes intellectuels africains, parce qu’elle contribuerait au déverrouillage de leur esprit créateur, et donc à leur engagement plus résolu dans la libération, dans la reconstruction autonome de notre continent. 

Quel message voulez-vous partager avec ceux qui ne la connaissent pas assez ?

Nous, notre message, c’est que Cheikh n’a pas besoin qu’on l’appelle le ‘’Pharaon du savoir’’ ou que l’on le momifie dans un sarcophage pour en faire un pharaon. Ce qu’il souhaite, c’est que son œuvre soit enseignée ; et que, surtout, la jeune génération se l’approprie et s’accommode en particulier de sa méthode d’investigation, d’analyse, qui lui a permis de faire des découvertes et des conclusions qui restent valides, un demi-siècle après. 

Ainsi, nous souhaitons que la jeunesse fasse, à son tour, des découvertes et contribue à la construction souveraine de notre continent. 

BABACAR SY SEYE

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