La revanche des héritiers
Icônes et faces visibles de la Seleka, les deux porte-parole de la rébellion ont aussi des comptes personnels à régler avec le président François Bozizé, dont ils réclament le départ.
Ce sont les deux icônes de la Seleka, une coalition de mouvements politico-militaires qui donne du fil à retordre au régime du président centrafricain François Bozizé depuis le 10 décembre 2012. Ce sont également les voix d’une rébellion dont on sait finalement peu de choses. Eric Neris-Massi, le très médiatique porte-parole et coordonnateur international de la Seleka, s’achemine « allègrement », selon sa propre formule, « vers les 41 ans ». Moins connu du grand public, François Nelson Ndjadder, le coordonnateur-délégué pour l’Europe, a juste 22 ans.
Ils vivent tous les deux en France, d’où ils informent les médias par voie de communiqués de presse et d’interviews sur le déroulement des opérations militaires sur le terrain. Ils ont en commun de vouer une réelle aversion pour le président Bozizé. Non sans raison. Eric Neris-Massi a perdu son beau-père, le médecin-militaire Charles Massi, ancien député et ministre, mort en janvier 2010, probablement sous la torture, quelques semaines après avoir été arrêté à la frontière avec le Tchad et livré aux autorités centrafricaines. Et, dans la foulée, sa mère, Denise Neris-Massi, seconde épouse de l’homme politique, est morte de chagrin, trois mois après la perte de son mari, laissant son fils doublement orphelin.
François Nelson Ndjadder a, lui, perdu son père, le général François Bédaya Ndjadder, ex-ministre de l’Intérieur et ancien directeur général de la gendarmerie nationale sous le régime d’Ange-Félix Patassé, lors d’un coup d’Etat manqué attribué à François Bozizé, en mai 2001. Depuis, le jeune François Nelson, qui a lui-même goûté de la prison en 2006, alors qu’il n’avait que 16 ans, nourrit du ressentiment envers un Bozizé devenu la bête à abattre. Sur sa page Facebook, il s’est choisi comme « devise préférée » ce dicton populaire : « La vengeance est un plat qui se mange froid. »
Bozizé « doit rendre des comptes »
« Même s’il m’a enlevé les deux êtres que je chérissais le plus, je ne fais pas du départ de Bozizé une affaire personnelle, nuance, pour sa part, Eric Neris-Massi. Mais il doit rendre des comptes au peuple centrafricain pour le mal qu’il lui a fait. » S’ils se retrouvent dans le combat contre le régime en place à Bangui et font tous les deux du départ de Bozizé un point non négociable, les deux figures tutélaires de la Seleka ne sont pas pour autant des jumeaux monozygotes.
Alternant la rhétorique diplomatique et les discours de guerre, Eric Neris-Massi est la véritable vitrine extérieure de la Seleka. Féru d’informatique, métis né d’un père centrafricain et d’une mère elle-même métisse franco-centrafricaine, manager dans un cabinet parisien de conseil en gestion et finance, il a le port élégant, le verbe facile et un carnet d’adresses pour le moins fourni On y retrouve, de son propre aveu, les numéros directs de plusieurs chefs d’Etat africains, dont le Congolais Denis Sassou Nguesso, le Tchadien Idriss Déby-Itno, ou encore le Béninois Thomas Boni Yayi. « Je me suis longuement entretenu hier nuit [dimanche soir, NDLR] avec le président béninois Boni Yayi qui rentrait de sa médiation en Centrafrique, confie-t-il dans un entretien téléphonique. Je l’ai félicité pour les résultats de sa mission et l’ai informé des rafles ethniques en cours à Bangui. J'ai également eu des contacts avec le directeur Afrique-océan Indien du Quai d’Orsay, Jean-Christophe Belliard. »
Allure de rappeur, passionné de musique et de jeux vidéo, François Nelson Ndjadder, qui a fait une partie de sa scolarité à Chicago, semble porter davantage les stigmates des drames successifs qui ont émaillé sa vie. Arrêté le 18 mai 2006 à Bangui, à 16 ans, alors qu’il se rendait pour une demande de visa à l’ambassade de la République démocratique du Congo, il doit à une vive réaction des organisations de défense des droits de l’homme d’avoir recouvré la liberté. Une photo du « Che » Guevara figure en bonne place sur sa page Facebook, aux côtés des portraits de son père portant un képi de gendarme et son grand-père en tirailleur bardé de décorations. Et ses communiqués de presse pour le compte de la Seleka, contrairement à ceux d’Eric Neris-Massi, se terminent invariablement par le slogan révolutionnaire bien connu : « La patrie ou la mort, nous vaincrons ! »
RFI