Mbao sous le poids de son marigot
La commune de Mbao a eu son lot d’inondations. Ses habitants sont contre le fait de drainer les eaux pluviales vers le marigot de Mbao, sans mesures d’accompagnement.
L’hivernage est un moment béni pour les agriculteurs. Mais, à Dakar, les pluies font perdre le sommeil à plus d’un. En cette mi-journée ensoleillée de mercredi 9 août, les habitants de Petit-Mbao se remettent peu à peu du stress du weekend dernier. Devant presque toutes les maisons, des tas de sacs de sable font office de décor. Ils ont servi à retenir l’eau, lors des fortes pluies récentes. A l’embouchure, là où la mer et le petit bras du marigot se rejoignent, une ligne de buses a été installée par la mairie pour drainer le trop-plein d’eau. Sur la rive, plusieurs pirogues, dont deux en très mauvais état, sont disposées les unes après les autres. Un groupe d’hommes (riverains et pêcheurs) discutent tranquillement sous un hangar.
Fumant sa cigarette, l’un d’eux nous raconte les sombres épisodes du weekend dernier. ‘’Ce jour-là, l’eau m’arrivait à la poitrine. Je devais traverser le marigot pour rejoindre l’autre rive. Un enfant aurait été emporté. Le marigot était tellement plein. Pourtant, actuellement, il pleut beaucoup moins qu’il y a quelques années. ‘’Dans les années 1975, il pleuvait plus que ça, mais nous n’avons jamais été inondés. On se baignait dans ce marigot et il contenait beaucoup plus d’eau. Mais l’eau pluviale circulait et disparaissait après la pluie, au point que l’on oublie même qu’il a plu. Aujourd’hui où les pluies sont en quantité réduite, on assiste à un débordement et à des inondations. Qu’est-ce qui s’est passé ? C’est cela la vraie question’’, lance notre interlocuteur qui s’est finalement mis debout pour mieux expliquer la situation.
Tourné vers l’autre bras (le grand) du marigot, nostalgique, il poursuit : ‘’Quand nous étions enfants, on se baignait souvent dans ce marigot. Mais actuellement, en temps de marée haute, l’eau de mer vient en force et se jette violemment à l’embouchure. Elle rejette même plus qu’elle n’a reçu. L’eau monte et le quartier se trouve coupé en deux. Pour rejoindre nos maisons qui sont là à quelques mètres, on va jusqu’à prendre des véhicules ‘clando’.’’
Son compagnon pêcheur vient montrer, dépité, sa pirogue bleue renversée sur la plage par la force de l’eau. A l’en croire, beaucoup de dégâts matériels ont été notés, surtout que les pêcheurs traversent souvent le grand bras en transportant les moteurs de leurs pirogues. L’autre fait, c’est que même en dehors de l’hivernage, l’inondation est monnaie courante le long du marigot.
‘’Le marigot ne peut plus recevoir les mêmes quantités d’eau’’
Sur le sable chaud, quelques enfants s’amusent. Il y a 40 ans, cet espace entre les deux bras n’était qu’eau, mais la sécheresse des années 1980 est passée par là. Des maisons sont sorties de terre. ‘’En ce temps-là, ici, c’était comme une île. Normalement, cette partie-là ne devait pas être construite. C’était le même marigot qui quittait Keur Massar, faisait une boucle ici et remontait Petit-Mbao pour aller s’échouer sur la plage du côté des ICS. On peut donc dire que les eaux de Keur Massar et celles d’Aladji Pathé sont dans le versant naturel du marigot de Mbao. Donc, que le marigot de Mbao reçoive les eaux pluviales d’autres communes, ce n’est pas le problème. Ce qu’il y a, c’est que le marigot ne peut pas continuer de recevoir les mêmes quantités d’eau, parce qu’avec la sécheresse, il a perdu une bonne partie de sa superficie’’, explique Guirane Diène, Coordonnateur de la Plateforme pour le développement durable de Mbao.
En effet, lundi dernier, lors d’une visite de terrain, le ministre de l’Eau et de l’Assainissement a annoncé un projet de drainage des eaux pluviales de Keur Massar vers le marigot de Mbao. Toutefois, les riverains exigent des mesures d’accompagnement. ‘’Les eaux du Train express régional, les eaux du péage sont drainées vers le marigot. Sans compter les eaux de Rufisque 2, de Yeumbeul Sud, Keur Massar, la Zac. Serigne Mbaye Thiam nous dit que le marigot a été maitrisé et qu’on a mis les moyens qu’il faut. Quels sont ces moyens ? Nous, on a vu des remblais que les gens ont enlevés. Et ces remblais, c’est la Sicap qui les avait mis, encore une société nationale, en plus de promoteurs privés, entre 2017 et 2020. Ils ont mis des remblais pour grignoter sur le lit et faire des parcelles. C’est encore la cupidité insolente des sociétés, l’occupation des zones non aedificandi et c’est aussi, à la limite, le mépris des populations. Si on dit qu’on a mobilisé des moyens, c’est archi-faux. Nous opposons un démenti à ces propos du ministre’’, martèle G. Diène sur un ton qui frise la colère.
Ses explications ont attiré l’attention du lutteur Gris Bordeaux qui se promenait tranquillement sur la plage. Tout en sueur, les pieds nus, il s’arrête et donne son ressenti. ‘’L’Etat réagit toujours après une catastrophe. Il n’anticipe jamais. On parle, depuis 30 ans, du problème d’assainissement de Dakar, mais rien. C’est vraiment dommage. Nous avons été surpris par le débordement du marigot, parce que lorsqu’on venait vivre ici, on ignorait toutes les conséquences. Face à l’avancée de la mer, on ne peut rien. J’ai appris que beaucoup de mosquées ont disparu. Mais à cela, si on ajoute le marigot, ce sera pire. On compatit à la souffrance de nos frères de Keur Massar. Nous sommes solidaires, mais si l’Etat veut pomper toutes les eaux de Keur Massar ici, on aura de sérieux problèmes’’.
Le sportif a construit à Petit-Mbao son domicile familial. A l’aise dans son short noir assorti à un débardeur bleu, il détaille : ‘’En période de pluie, on est tous stressés. Les gens posent des sacs à l’entrée des maisons ; des pirogues ont été endommagées. Quant à ce projet de drainage, l’Etat doit discuter avec nous, car c’est nous qui vivons ici. On doit aménager le marigot. Il faut également faire arrêter les branchements clandestins des fosses de ceux qui vivent près du marigot. Aujourd’hui, le marigot est presque une fosse. Il y avait un temps où on voyait de l’eau propre et claire. L’Etat doit aussi mettre des limites, pour éviter tout débordement.’’
Le débit rapide et en colère, il promet que les riverains ne se laisseront pas faire, car il y va de leur survie.
‘’Le pire, c’est que c’est arrivé en pleine nuit’’
Aujourd’hui, cette richesse naturelle est devenue un nid de moustiques, de mauvaises odeurs et une source de maladies cutanées. Divisé désormais en deux, le marigot offre un spectacle peu reluisant. Du côté de son plus grand bras, l’eau est devenue verte et sombre. Aux abords, des déchets plastiques et des ordures ménagères jonchent le sol, en plus de gros tuyaux noirs. On nous apprend que ce sont ceux d’une ancienne station d’épuration de l’Office national de l’assainissement du Sénégal (Onas) qui ne fonctionne plus. Ainsi, toutes les eaux usées du village qui sont drainées et qui devaient être traitées se déversent dans le marigot.
S’il y a une personne qui n’oubliera pas de sitôt la nuit du 5 au 6 septembre, c’est bien mère Seck. Le trop-plein d’eau a envahi sa maison.
‘’On a lavé la maison, de 2 h du matin à 14 h, parce que cette eau est tellement sale ! L’eau est arrivée dans les chambres, la cuisine. J’ai même perdu ma télévision. Le pire, c’est que c’est arrivé en pleine nuit’’, relate-t-elle la mine triste. La scène a été filmée et les images de cette nuit font froid dans le dos. Aucune des trois chambres n’a été épargnée. Couverte d’un voile, elle a tenu à montrer, dehors, les matelas dont elle a dû se débarrasser, et même des vêtements. ‘’L’eau est venue jusque derrière la maison, avec son lot de saleté. En plus de cela, on voit toutes sortes d’insectes dans la maison, tels que les mille-pattes. Mon fils a été victime d’une piqure et il a toujours mal. Certains ont les pieds qui enflent. Ce qu’on vit ici est inexplicable. Seul l’Etat peut nous aider. Plusieurs ministres sont passés ici. Abdou Karim Sall a pataugé dans ces eaux, lors d’une visite ; il n’était pas encore ministre. Le ministre Aly Ngouille Ndiaye est également venu ici. Mais jusque-là, ils n’ont apporté aucune solution’’, déplore Maimouna Seck, le regard lointain.
Elle affirme que le calvaire a commencé en 2005, lorsque l’Onas a débuté ses travaux d’assainissement. Debout devant son portail, la voix à peine audible, mère Seck ajoute : ‘’Quand les pompiers viennent, ils ne font que déposer des sacs de sable. Leur tuyau de pompage a éclaté devant nous à maintes reprises. Donc, ils posent des sacs de sable pour essayer de créer un passage. Mais quand l’eau arrive, elle les emporte tous. Ils avaient mis, cette fois, 1 500 sacs. Parfois, je leur dis qu’ils ne servent pas à grand-chose ici. Rentrez chez vous, c’est mieux. Aussi, on ne peut plus se permettre de creuser dans le marigot pour faciliter le passage de l’eau, parce que les pêcheurs sont contre. Ils traversent souvent cette zone. Une bagarre a déjà eu lieu.’’
La grand-mère s’inquiète pour les enfants du quartier qui, insouciants, profitent du retrait de la mer pour se baigner dans le marigot. Pour elle, cela ne change rien à l’impureté notoire du marigot.
MAMADOU NDONG TOURE, GEOGRAPHE, SPECIALISE EN CHANGEMENT CLIMATIQUE ‘’Le marigot devra être aménagé’’ ‘’Dans le domaine de l’urbanisme, il y a des préalables. Ce qui est sûr, c’est que le marigot de Mbao se jette dans la mer. Mais ce marigot était là avant les populations. Donc, ce sont les populations qui sont venues s’installer dans le lit ou près du lit du marigot. Et dans le temps, il y avait assez d’eau qui remontait des deux rives. Quand la sécheresse a eu lieu, c’est sûr que le lit du marigot a diminué, ce qui a fait que certaines personnes se sont installées dans ce lit, si bien que, lorsque le marigot déborde, elles sont inondées. S’il y a également de fortes marées, l’eau de mer se déverse dans le marigot, donc les maisons les plus proches sont inondées. Je pense que ce marigot est en contact direct avec les eaux de Keur Massar, parce que toutes les eaux ruissellent vers la mer. Donc, les eaux de Keur Massar prenaient des canaux qui allaient rejoindre le marigot de Mbao pour aller se déverser en mer. Maintenant, avec l’occupation humaine, toutes ces voies d’eau ont été coupées. Si l’Etat, aujourd’hui, a un programme de drainage de ces eaux pluviales, c’est sûr qu’il va utiliser les anciens canaux ou les égouts qui vont permettre que l’eau puisse être drainée. Dans ce cas, le marigot devra être aménagé. Il va forcément devoir être aménagé. On va calculer la profondeur, calculer sa capacité et calculer la quantité d’eau qu’on va y déverser. Une quantité qui pourra être contenue dans le marigot. C’est l’Etat qui doit faire ce travail. Les populations ont peur et c’est tout à fait normal. Le préalable, c’est d’abord l’étude d’impact environnemental et cela quel que soit le projet qui doit être mis en œuvre au Sénégal. Cette étude a un volet très important qu’on appelle l’audit technique. On étudie l’ensemble des impacts positifs comme négatifs qu’on propose aux populations qui vont valider ou invalider. Donc, cela doit être une décision concertée avec les populations et tout ceci est encadré par le Code de l’environnement qui dit que : pour tout projet au Sénégal, il faut une étude d’impact environnemental. Et pour les impacts négatifs, vous proposez des mesures d’atténuation et les mesures de corrections.’’ |
EMMANUELLA MARAME FAYE