L’autre mal profond
Outre les zones exploitées non encore réparées, la Sephos a licencié, avant l’apparition de la Covid-19 au Sénégal, une trentaine de jeunes Lam-Lamois pour, dit-on, motif économique.
Teint noir, aujourd’hui chauffeur de taxi ‘’clando’’, Aliou Tine fait partie de la dernière vague des victimes de la Sephos. Il a été licencié au même titre que plusieurs de ses camarades, après dix longues années consacrées à la Sénégalaise des phosphates. C’était avant l’arrivée de la pandémie de la Covid-19 au ‘’pays de la Téranga’’. Il se souvient encore du jour où son espoir d’offrir un meilleur habitat à ses parents a volé en éclats.
‘’Le patron en charge des ressources m’a contacté ce jour-là vers 15 h. Je m’apprêtais même à me rendre à l’usine pour aller bosser. A mon arrivée, on m’a servi un document. Je ne connaissais même pas le contenu, parce que je ne sais pas lire. J’ai demandé qu’on me donne du temps pour ramener le document à la maison, car je ne comprenais rien du tout. On m’a demandé de le signer sur place. C’était alors ma lettre de licenciement. C’est de cette façon que j’ai été remercié par la Sephos’’, révèle-t-il, le ton empreint d’émotion.
Avant cet épisode douloureux dans sa carrière de jeune logisticien, Aliou Tine et bien des jeunes avaient fait des prêts allant de trois à quatre millions de francs CFA dans leurs banques respectives. Ils devaient soit servir à entamer ou achever des travaux de construction des maisons de leurs parents. Mais aujourd’hui, ce rêve n’est plus permis. Il est enseveli dans les trous profonds creusés par la Sephos.
Pour obtenir gain de cause dans cette affaire, le groupe de licenciés, sous la conduite d’Antoine Turpin, a fait appel à un cabinet d’avocats sis dans la ville de Thiès. Tous ont demandé d’être payés. Pour l’affaire, S. Fall, licencié, dit-on, pour faute grave par la Sephos, le cabinet d’avocats a ordonné les paiement d’indemnités de préavis à hauteur de 292 274 F CFA et des indemnités de licenciement qui s’élèvent à 356 088 F CFA. Pour A. Sow, le cabinet a également délibéré en sa faveur. Il a invité la Sephos à s’acquitter des indemnités de préavis de l’ordre de 291 548 F CFA ; la même somme pour les dommages et intérêts causés, et 2 500 000 F CFA pour le licenciement abusif. Pour l’instant, rien n’est effectif.
En revanche, Antoine Turpin affirme que le combat se poursuit et que le droit sera dit dans cette affaire. Désespéré, mais courageux, Aliou Tine, qui garde encore soigneusement son chéquier et sa carte Gab dans son véhicule de marque Renault, croit qu’un jour, tout va changer et qu’un vent de paix et non de poussière va de nouveau souffler dans tout Lam-Lam.
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ALIOUNE FALL (DIRECTEUR DE LA MINE DE SEPHOS A LAM-LAM)
‘’On doit remblayer et restituer les terres aux populations’’
A la tête de la mine de Lam-Lam depuis 2013, le directeur de la mine de Sephos à Lam-Lam, Alioune Fall, joint par ‘’EnQuête’’, se dit prêt à réhabiliter tous les panneaux déjà exploités et restituer les terres aux populations pour un retour vers l’agriculture.
Les populations demandent depuis longtemps la réhabilitation des panneaux miniers déjà exploités. A quand leur fermeture ?
Je vais vous dire une chose. Nous avons hérité de l’ancien permis de la SSPT. Nous avons deux lentilles, sud et nord. Quand on est arrivé en 2009, la lentille nord n’était pas encore attaquée. Nous avons commencé par la lentille sud. Nous y avons trouvé des trous occasionnés par le terrassement de la SSPT que nous avons hérités. Donc, ça ne nous concerne pas. Parce que, nous, on ne va pas remblayer des zones que nous n’avons pas terrassées. Nous y avons exploité une petite zone. Et notre projet, c’est de faire là-bas de l’agriculture pour les travailleurs et les populations. On avait un projet, mais finalement, on ne l’a pas terminé. Nous sommes en train de terminer la lentille nord. Il nous reste trois panneaux.
Mais, Monsieur le Directeur, à quand la fermeture de ces trous ?
C’est sûr qu’à la fin, on va les remblayer. Mais quand on aura terminé. En ce moment, nous avons quelques difficultés, parce que nous sommes en fin de terrassement. Nous avons un grand permis à Niakhène. C’est le grand permis de Ngandiouf. Quand on aura terminé, et en allant à Ngandiouf, nous allons remblayer. Nous voulons développer de l’agriculture dans les zones que nous avons exploitées. Pour le moment, c’est le contexte qui fait qu’on ne peut rien faire.
C’est sûr que vous allez remblayer les sites et restituer les terres aux populations ?
Oui ! Par contre, c’est quand on aura fini d’exploiter les panneaux qui restent. Il nous reste encore trois panneaux à exploiter, parce qu’on n’a pas de commandes extérieures. Les commandes locales n’arrivent plus à couvrir nos charges. Nous devons remblayer. C’est notre convention avec l’État du Sénégal.
Même si on ne remblaie pas entièrement, on va trouver un terrain d’entente avec les populations. Les populations ont raison, les terres-là qu’on a exploitées, on doit les retourner aux populations. Je m’attacherai à ça, tant que je reste à la Sephos. On ne peut pas gagner contre les populations. Il faut les associer à reconstruire l’environnement. En tout cas, moi, c’est mon leitmotiv et je ne fais pas dans la politique. Je me battrai jusqu’au bout pour que les terres soient restituées aux populations pour être réutilisées.
Mais vous avez trop attendu quand même et les populations continuent de se plaindre…
En tout cas, je vous garantis qu’on va le faire. Et c’est clair. C’est normal que les populations se plaignent. On ne peut pas tout faire. C’est logique. Les gens ne sont jamais contents. C’est ça la responsabilité sociétale d’entreprise (RSE). Les besoins sont tellement énormes dans ce pays-là. A l’époque, on dépensait plus de 100 millions par an. On donnait 33 millions aux communes de Chérif Lô et de Pambal. Ça fait déjà 66 millions de F CFA. On finançait également les projets générateurs de revenus pour les femmes. Le reste, on le dépensait dans le Gamou et dans les événements communautaires. Nous avons quand même fait des investissements au niveau de la communauté.
Quoi, le terrain de football et de basket ?
Le lycée de Lam-Lam, c’est nous qui l’avons construit et bien équipé.
Mais c’est avec l’aide d’un partenaire espagnol…
Oui, mais c’est un partenaire qui avait des actions dans la Sephos. C’est nous qui l’avons cherché et trouvé. C’est une fondation de la dame d’un grand actionnaire de la Sephos. En tout cas, c’est la Sephos qui a construit le lycée de Lam-Lam. Nous avons quand même laissé des ouvrages. Même si on va à Ngandiouf, on ne va pas abandonner Lam-Lam.
Qu’en est-il du centre de santé que réclament les populations ?
Pour le moment, c’est le dispensaire de la Sephos qui entretient les populations. Nous sommes en fin d’exploitation. On n’a plus de marché. Mais on se donne l’essentiel. Actuellement, notre ambulance est utilisée pour évacuer les malades. Notre infirmière qui habite Baliga, dans Lam-Lam, fait des consultations gratuites pour les populations.
GAUSTIN DIATTA (THIÈS)