Charmes et folies d'une cité infernale
Les Yorubas, premiers propriétaires des lieux, l’appelaient Ekko, «l’endroit qui met ensemble». Un nom trop bien inspiré car depuis, la ville de Lagos, ancienne capitale du Nigeria, ne cesse de mettre ensemble les gens. Elle compte aujourd’hui près de 13 millions d’habitants. Au cœur d’une agglomération avec ses bruits et ses folies.
Lagos relève presque du miracle. Cette ville est folle. Et c'est sans doute pourquoi elle a été détrônée par Abuja depuis 1991 au titre de capitale de l'ensemble fédéral. Son rythme et ses rues sonnantes et trébuchantes célèbrent quotidiennement leur victoire sur des humains étourdis. Près de 13 millions d’habitants condamnés à cohabiter sur une étendue de 1300 kilomètres carrés ! En toute logique, l’air pur y est donc un luxe avec une foultitude de véhicules de tous genres et de toutes marques ronflant à longueur de journée sur des axes devenus étroits. Des feux rouges, on n’en voit presque pas ici. Lagos étouffe et s’étouffe sous le poids de sa démographie puissante. Ce n'est pas pour rien qu'elle est le poumon commercial et industriel du pays.
L'ambiance est intenable, ça pétarade et ça vrombisse de partout. Lagos aime la foule et adore le vacarme. Comme des anacondas interminables, les embouteillages s’étalent à perte de vue. Un fait qui s’explique par des quartiers populaires destinés à l’habitation se situant dans le nord de la ville, bien loin des activités économiques de la localité. D’où les nombreuses heures perdues en reliant les domiciles, la pléthore de vieux bus, la pollution et les embouteillages assassins. La bonne nouvelle, c’est que les embouteillages de Lagos n’apportent pas que malheur. Ils ont leur coté généreux en ce qu’ils constituent une aubaine pour de petits marchands déambulant et faufilant entre les véhicules. L’éventail du service est assez large : chips, beignets, bonbons, piles chargeables, banane plantain…
Souvent, à l’angle d’une ruelle quelconque, s'offre l’image d’un marché brouillant avec, en première colonne, plusieurs conducteurs de motos guettant impatiemment des clients. Motos et minicars jaunes semblent d'ailleurs se partager les gains du transport urbain avec des particuliers et des taxis tricycles à 4 places. Les mêmes que l’on retrouve dans les téléfilms indiens.
Victoria Island Vs Oshodi
Lagos allie modernisme et vieillesse, une situation matérialisée par d’imposants gratte-ciel qui surplombent de vieux bâtiments construits durant la colonisation anglaise. La pauvreté et la l’opulence cohabitent et se regardent en chiens de faïence. Les quartiers Ajegunlé, Agegé, Oshodi, Ipaja, Orilé, etc., croulent sous le poids de la misère, avec des hordes de gosses convertis à l'oisiveté continue. En face, Victoria Island brille de mille feux avec ses hôtels étincelants, Ikoyi rayonne grâce à sa berge paradisiaque, Lekki semble jaloux de sa beauté... La ville originelle est constituée d’un divin assemblage d’îles dont plusieurs ont été reliées au continent. Mais il reste encore des péninsules, comme Iddo Island ou Victoria Island.
Une humidité fade affecte l’air et oblige à une respiration qui reste à désirer. Lagos maintient son climat moyen et déroule sa lourde histoire. La ville, l’une des plus grandes d’Afrique après le Caire, est présentée comme dangereuse même si la population de la ville soutient le contraire. «Je suis de Lagos et je n’aime pas cette étiquette de ville dangereuse qu’on lui colle. Il y a un danger certes mais c’est à l’image de toutes les autres villes du monde», souligne Rachelle, agent de sécurité dans un hôtel de la ville. Malgré tout, la réalité reste teigneuse, surtout qu’elle vous est servie comme une litanie quotidienne par les médias et plusieurs agences de voyage et de sécurité. Lorsqu’on se rend à Lagos, la psychose s’installe et empêche presque de respirer une fois sur place.
Psychose d’une ville
Lagos tire sa faiblesse de sa force. C’est sa démographie qui en fait une sorte de jungle où chacun se débrouille comme il peut pour tirer son épingle du jeu. Plus de deux cents ethnies s’y retrouvent, soit une multitude de langues et de cultures…mais aussi d’insécurité. La peur atteint sa vitesse de croisière chez le visiteur avant même qu’il ne se résigne à y aller. Dans une note parvenue aux participants au Forum sur la «Création de valeur partagée» qui s’est déroulé du 17 au 18 septembre dernier, il est bien mentionné les risques liés à l'insécurité qui prévaut au Nigeria. «Attaques/vols à main armée ; enlèvements fréquents dans le sud et le sud-est du Nigeria ; actes de terrorisme fréquents dans le nord-est du pays», etc. Alors arrive ensuite une batterie de mesures préventives. «Ne jamais accepter d’être transporté par des chauffeurs autres que ceux assignés à la conférence. Si vous êtes attaqué par des personnes armées, ne résistez pas. Rien n’a plus de valeur que votre vie. Soyez conscients du fait que vous pouvez être suivis. Évitez de parler politique. Soyez courtois, mais évitez toute implication personnelle…» Heureusement qu'on reste maître de sa respiration !
Les mesures de sécurité sont donc de rigueur. Chaque véhicule qui entre dans un hôtel est passé au peigne fin par un «détecteur d’explosif». Les gens sont si méfiants ! Difficile, par exemple, de faire parler un taximan. Autorités et autres «Big man» (appellation donnée aux personnes riches) sont bien souvent entourées de policiers brandissant ostensiblement des kalachnikovs. L’image est banale dans les hôtels de Lagos. Ailleurs dans les rues, flics et transporteurs se livrent sans cesse à un jeu du chat à la souris. A l’image de cette dame policière qui donne un coup de bâton désespéré sur la malle arrière de ce véhicule de transport en commun qui refuse de s’arrêter malgré une forte injonction. A Lagos, flics et agents de sécurité ne chôment pas, toujours prompts à faire face à des usagers dont ils se doutent qu'ils ne leur vouent pas le respect qui sied à leur rôle... C'est tout le charme d'une ville séduisante à sa manière, dans ses ambiguïtés et dans sa folie.
AMADOU NDIAYE
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