LE PEUPLE, LA SOUVERAINETE NATIONALE ET LES DEPUTES !
Par le temps qui court, les législatives anticipées s’achèvent, le Conseil constitutionnel proclame officiellement les résultats définitifs et l’Assemblée nationale nouvellement élue prépare à son installation. Le rituel, au délà de la volonté du peuple de s’exprimer par le vote et pour la désignation de ses représentants, renferme toute une symbolique et marque le passage de témoin de la délégation de l’exercice de la souveraineté nationale entre le peuple (mandant) et les représentants (mandataires) incarnés par les députés.
Et pour rappel, les notions de peuple, de souveraineté nationale et de représentation, sont consubstantielles à la démocratie représentative et à la vitalité des institutions de la république. Elles reposent sur le crédo «d’un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple». Ainsi, le peuple se définit comme un ensemble de personnes constituant une nation, vivant sur le même territoire et soumis aux mêmes lois, aux mêmes institutions républicaines.
La constitution sénégalaise dispose en son article 3 que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants ou par voie du référendum. Aucune section du peuple, ni aucun individu, ne peut s’attribuer l’exercice de la souveraineté. Le suffrage peut être direct ou indirect. II est toujours universel, égal et secret. Tous les nationaux sénégalais des deux sexes, âgés de 18 ans accomplis, jouissant de leurs droits civils et politiques, sont électeurs dans les conditions déterminées par la loi ».
Partant de cette disposition, on devrait percevoir l’organisation des élections comme étant une solennité. M.Lionnel Jospin, homme politique français, disait : « le peuple au principe de la démocratie, il est le fondement de la légitimité politique, il se fait entendre à l’occasion des élections intermédiaires et tranche souverainement au terme des mandats nationaux».
Le peuple est la seule source par laquelle dérive le pouvoir de représentation et de délégation de l’exercice de la souveraineté nationale. Dès lors, le Président de la république et les Députés apparaissent comme les dépositaires de cette souveraineté nationale, puisqu’ils sont tous les deux élus par le peuple au suffrage universel direct. Le peuple peut aussi exprimer directement sa volonté dans le cadre du referendum, qui peut généralement porter sur certains projets de loi ou sur les revisions constitutionnelles.
La souveraineté nationale prône l’existence d’un régime représentatif, c’est-à-dire, un système politique dans lequel le pouvoir est détenu par une assemblée parlementaire élue par le peuple. Elle s’oppose à la souveraineté populaire qui implique pour sa part des mécanismes d’exercice de la démocratie directe, avec la tenue des assemblées populaires des citoyens et des consultations référendaires..etc.
L’exercice de la souveraineté nationale est assujetti à des obligations de respect de l’unité et de l’indivisibilité, à l’inaliénabilité et à l’imprescription. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer. L’exercice de la souveraineté implique ausi interdiction du mandat impératif. Les membres des assemblées représentent l’ensemble de la nation et non les seuls électeurs qui les ont choisis ou le parti politique qui les a proposés sur la liste des candidats avant d’être élus par le peuple!
En d’autres termes, la conception de la souveraineté nationale s’oppose à la prééminence des intérêts du parti politique sur ceux du peuple. Le titre de représentation du peuple ne peut être partagé ou délégué par celui ou celle qui l’exerce. Le mandat législatif est limité dans le temps et ne peut être exercé ad vitam aeternam sans la tenue périodique des élections.
Autrefois, de grands philosophes comme Thomas Hobbes défendait que les concepts de souveraineté et de representation soient au cœur de la pensée moderne de l'Etat. Raymond Carré de Malberg, un des fondateurs du droit public français, quant à lui, a montré que le terme souveraineté est apparu au Moyen-âge, en France. IL n'a d'abord revêtu qu'un simple rôle comparatif permettant de désigner une autorité supérieure à une autre, puis il s'est spécialisé au XVIe siècle dans un rôle superlatif. Dès lors, dit-il, il faut faire la distinction entre la doctrine de la souveraineté nationale et celle de la souveraineté populaire. Dans la première, poursuit-il, la souveraineté appartient à la nation, c'est-à-dire, à une entité abstraite composée d'hommes vivant sur un territoire donné à un moment donné et qui tient compte de la continuité des générations ; alors que dans l'autre, elle appartient au peuple, un être réel, défini comme l'ensemble des hommes vivant sur un territoire donné. Dans le cas de la souveraineté nationale. La mise en place d'une démocratie directe, ajoute-t-il, est impossible et, dans le cas de la souveraineté populaire la mise en place d'une démocratie directe est possible mais difficilement praticable. D'où le fait que le peuple ou la nation délègue à des représentants l'exercice de la souveraineté. Or, cette distinction entre souveraineté populaire et souveraineté nationale peut paraître injustifiée. En effet, soutient-il, dans la constitution française de 1793, le peuple n'est pas un être réel existant indépendamment de sa représentation, capable d'exprimer sa propre volonté, mais une notion tout comme la nation, construite par le droit. Cependant, conclut-il, l'article 3 de la constitution française de 1958 qui dispose que « La souveraineté nationally appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie de référendum. » apparaît comme un compromis entre les deux doctrines. Bien que la démocratie directe soit difficile, voire impossible, à mettre en place, le référendum permet au peuple d'exprimer sa volonté et met donc en œuvre un élément propre à la démocratie directe.
En bref, la souveraineté appartient soit au peuple, soit à la nation, et des représentants l'exercent en leur nom. Et même, on s’interroge sur la notion de représentation et le véritable titulaire de la souveraineté? Parallèlement, on se demander si les représentants n'expriment pas simplement leur propre volonté au lieu d'exprimer celle du peuple ou de la nation? La delegation de l'exercice de la souveraineté sert-elle plus aux intérêts des représentants qu’au peuple ou à la nation souveraine qui les choisit ?
Le système de representation ou plutôt la théorie de la representation révèle des difficultés réelles qui ont un impact négatif sur la représentativité des élus, à raison du désintéressement parfois des citoyens au droit de vote. Par exemple, si on prend le cas pratique du Sénégal, les 60,2% des habitants constituant le peuple, ne participent au choix des représentants exerçant la souveraineté nationale et, seuls les 39,8% en ont les prérogatives, s’arrogent le droit d’engager tout le peuple ! Et, c’est comme dans la pratique, il est considéré que « la souveraineté nationale appartient aux électeurs et non au peuple» ! L’explication réside sur le fait que si on n’est pas électeur, on ne peut pas y participer, alors que l’inscription sur les listes électorales et le vote des citoyens ne sont pas obligatoires ! Et même, pour les dernières présidentielles et législatives anticipées, les scores réalisés respectivement 54, 28% et 54,97% sont calculés sur la base des 39,8% représentant les électeurs et non les 60,2% constituant le peuple!
La faiblesse de ces chiffres démontre une fois les limites du système de représentation, au-delà elle pose le problème de légitimité et de crédibilité des élus nationaux, assurant la délégation de l’exercice de la souveraineté nationale. Le décalage est réel entre les représentants attitrés et le peuple souverain incarné par la quasi-totalité de la population ! Cette situation n’impute pas forcément la responsabilité des élus actuellement en fonction, bien au contraire ils sont victimes du système de représentation qui les discrédite d’avance et cultive l’insatisfaction ou l’antiparlementarisme, c’est-à-dire, le sentiment de rejet des députés par la plus grande composante du peuple !
L’autre difficulté du système de représentation, c’est la baisse du taux de participation et, malgré les 39,8% d’électeurs qui exercent le droit de vote sur une population totale faisant plus de 18 millions. De l’indépendance à nos jours, il y a eu 13 élections législatives organisées dont la première s’est tenue le 1er décembre 1963 et la dernière le 17 novembre 2024. Toutes ces législatives ont réalisé des taux de participations variant de plus 90% à 50% ; sauf pour celles du 9 mai 1993 avec un taux de 41%, du 24 mai 1998 avec un taux de 39,3%, du 3 juin 2007 avec un taux de 34,7%, du 1er juillet 2012 avec un taux de 36,6%, du 31 juillet 2022 avec un taux de 46,6% et enfin du 17 novembre 2024 avec un taux de 49,51%.
Pour les présidentielles, notre pays en a connues 12 et 5 référendums, mais jamais pour ces joutes électorales le taux de participation a fait moins de 50%. Certains battent même en brèche la comparaison de la présidentielle avec les législatives, bien évidemment l’une est au scrutin uninominal et l’autre au scrutin plurinominal. Mais le suffrage reste universel direct pour toutes les deux et que la baisse ou la hausse du taux de participation aux élections n’est pas liée au fait que l’on soit à une présidentielle ou à des législatives. Elle dépend de la volonté des électeurs et de l’offre programmatique des candidats en compétition. Pour exemple, en 2001 sous l’ère de l’alternance démocratique au sénégal, les premières législatives tenues dans le courant du mois d’avril, avaient enregistré un record historique du taux de participation de 67,4% dépassant les taux de 62,2% et de 60,7% réalisés successivement au 1er et 2éme tour des présidentielles du 27 fév. et 19 mars 2000, puis celui de 65,7% du referendum du 7 janvier 2001.
Mieux encore, la participation aux législatives de 2001 surplombe les taux de toutes les trois dernières présidentielles, notamment celles du 26 fév. et 25 mars 2012 au 1er et 2ème tour avec les taux respectifs de 51,3% et 55%, puis du 24 fév. 2019 avec un taux de 66,2% et enfin du 25 fév. 2024 avec un taux de 61,3% !
Le taux de participation est donc un indicateur très important dans des élections et c’est même le baromètre qui permet de déterminer le niveau de confiance des électeurs. II est corrélé dans certains pays au contrôle de la légitimité populaire du candidat à partir de sa circonscription électorale, avec le scrutin uninominal majoritaire à deux tours. C’est le cas en France où il est institué l’inscription électorale d’office à 18 ans. Cela joue beaucoup sur la forte participation des électeurs aux élections dont la dernière est les législatives anticipées avec des taux variant entre 66,73% et 66,63% au 1er et 2 ème tour.
Le défi pour notre pays, c’est de voir comment améliorer globalement notre démocratie représentative qui traîne encore des lacunes, avec des faiblesses notoires de la présence de la majorité des citoyens sur les listes électorales. La France compte 49,5 millions d’électeurs, soit 72,61%, sur une population de 68,17 millions. Est-ce que c’est leur système d’inscription d’office qui a permis d’avoir ce nombre d’électeurs ? Les bonnes pratiques sont toujours enrichissantes lorsqu’elles peuvent servir d’inspiration. II n’y a pas de complexe à se faire en appropriant des meilleures pratiques! S’il n’y avait pas la révolte des 13 colonnies entrainant la révolution américaine de 1763, la France n’aurait jamais sa révolution de 1789!
Pour dire c’est important que nos autorités se penchent sur toutes ces questions et engagent des réformes de notre système électoral. II faudrait aussi aller vers la suppression de la proportionnelle dite « liste nationale» et instituer le scrutin législatif uninominal à deux tours, la limitation du mandat du député à deux comme le cas au Bénin et au Togo.
Le député bien élu c’est le peuple qui est bien représenté !
ALIOUNE SOUARE
Spécialiste du droit parlementaire,
Auteur de la réforme du Réglement
Intérieur du Comité interparlementaire
- CIP/UEMOA