Publié le 10 Jul 2025 - 18:43
Diomaye-Sonko

Un pouvoir face au risque d’opinion, leur talon d’Achille

 

Un an et demi après leur arrivée au pouvoir, le président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko affrontent un défi redoutable, mais souvent sous-estimé : le risque d’opinion. Au-delà d’une supposée érosion  de leur popularité, ce risque désigne une érosion silencieuse mais profonde du lien de confiance entre un pouvoir et ceux qui l’ont porté. Pour un régime né d’un élan populaire exceptionnel, forgé dans la contestation et élu au nom de la rupture, ce danger est à la fois politique, émotionnel et symbolique.

Pour rappel, l’élection présidentielle de mars 2024 fut un séisme démocratique. Diomaye Faye a été élu avec un score sans appel, adossé à une jeunesse exaspérée, une société civile mobilisée, et une opinion lassée des compromissions de l’ancien régime. L’espoir était immense, presque sacré.

Mais en politique, plus l’espérance est haute, plus la chute peut être brutale. Et l’usure n’attend pas le troisième mandat. Moins de deux ans après leur investiture, les premiers signes de fatigue dans l’opinion émergent. Loin de toute attaque extérieure, le principal danger vient de l’intérieur : la désillusion des soutiens d’hier, qui ne sont pas forcément des militants du Pastef.

Ce qui rend le pouvoir Diomaye–Sonko particulièrement vulnérable, ce n’est pas la force de l’opposition - encore morcelée - mais l’impatience d’une base qui exige des résultats concrets sur tous les fronts : pouvoir d’achat, emploi des jeunes, justice équitable, souveraineté économique, rupture avec les anciennes pratiques...

Or, les réformes profondes prennent du temps, et ce temps, l’opinion ne semble plus disposée à le concéder. L’inflation reste élevée, le chômage juvénile pèse, et les inégalités territoriales perdurent. Le fossé se creuse entre la promesse de la rupture et les lenteurs de l’action publique.

Des polémiques révélatrices d’un malaise croissant deviennent de plus en plus pesantes. En effet, ces dernières semaines, plusieurs épisodes ont cristallisé les tensions.

La tension avec le corps judiciaire, nourrie par des propos critiques du Premier ministre à l’encontre de certains magistrats, a ravivé un vieux clivage institutionnel, jetant un doute sur l’indépendance de la justice.

Les incidents impliquant des policiers à Cambérène, lors d’une manifestation de jeunes contre des déguerpissements, ont choqué l’opinion. Des vidéos montrant des violences policières ont circulé sur les réseaux, provoquant l’indignation et relançant le débat sur les méthodes de maintien de l’ordre.

L’affaire Badara Gadiaga-Amadou Ba, survenue lors de l’émission Jakarlo sur TFM, a mis en lumière la nervosité du pouvoir face aux critiques médiatiques. Le face-à-face tendu entre le chroniqueur Badara et le député de Pastef Amadou Ba a viré à la polémique nationale, notamment après l’appel à l’arrestation du chroniqueur, perçu comme une tentative d’intimidation.

Enfin, la cacophonie communicationnelle qui continue à devenir un marqueur dans la perception populaire, avec des versions contradictoires venant de différents membres du gouvernement, a conduit à une réunion de crise à la Primature, signe que le malaise n’est plus marginal. La Primature veut siffler la fin de la récréation et de l’inefficacité de la communication gouvernementale.

Le tandem exécutif repose sur une dualité de styles : Diomaye, président discret, presque ascétique ; Sonko, chef de gouvernement expansif et tribun hors pair. Si cette complémentarité a séduit au début, elle entraîne aujourd’hui des incompréhensions.

Entre les discours officiels et les prises de parole spontanées, entre les communiqués formels et les directs Facebook, le message du pouvoir perd en cohérence. L’opinion, toujours plus sensible au moindre signal, peine à s’y retrouver. Et dans une société où les perceptions comptent autant que les faits, la non maitrise communicationnelle est un poison lent mais fatal.

Pourtant, le plus grand danger pour le pouvoir Diomaye–Sonko n’est pas de commettre une erreur. C’est de laisser croire qu’il n’est plus du côté du peuple, qu’il a été absorbé par les logiques de l’État qu’il prétendait subvertir.

Le risque d’opinion, c’est cela : une rupture symbolique, insidieuse, entre le pouvoir et la population qui l’a hissé. Et ce risque s’alimente de chaque maladresse, chaque silence, chaque dissonance. Il se propage dans les réseaux sociaux, s’enracine dans les frustrations quotidiennes, et finit par prendre le visage de la trahison.

Pour prévenir cette crise larvée, le pouvoir doit réajuster son rapport à l’opinion. Cela suppose :

- Une prise en charge hardie des urgences sociales, comme le cout de la vie, le chômage des jeunes, le cout du loyer, la dette due au secteur privé, et l’arrêt des grands chantiers et projets .

- Une professionnalisation de la communication, avec une voix unifiée, des porte-parole identifiés et une veille stratégique active.

- Une capacité à réagir avec humilité et efficacité aux critiques légitimes.

- Et surtout, une pédagogie permanente pour expliquer les choix, les réalisations, les délais, les contraintes du gouvernement.

Le pouvoir doit cesser de réagir à l’opinion comme à une attaque. Il doit l’écouter comme un baromètre, parfois imprévisible, mais toujours précieux.

Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko ne pourront pas gouverner durablement s’ils deviennent étrangers à ceux qui ont fait leur victoire. Le risque d’opinion n’est pas un détail. C’est le talon d’Achille d’un régime qui a bâti sa légitimité sur une promesse de transformation radicale.

Pour durer, il ne suffit pas d’avoir été élu contre l’ancien monde. Il faut, jour après jour, prouver qu’on n’en reproduit pas les travers. Rester fidèles à l’espérance du Projet qui les a portés : voilà le vrai défi

Adama Sow  journaliste, analyste médias

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