Une application pour tracer les personnes infectées

Mouhammadou Falillou Ndiaye (Concepteur de TraceTogether)
Le monde cherche des réponses et des solutions à l’équation invisible nommée Covid-19. Au Sénégal, un jeune informaticien veut lancer une application de traçage des personnes infectées ou susceptibles de l’être. Inspiré par le modèle de Singapour, il est à pied d’œuvre.
‘’A quelque chose malheur est bon’’ ! Au Sénégal, en tout cas, la réalité du terrain confirme ce dicton. A côté de la prise de conscience collective sur les priorités, des lacunes de tout un système sanitaire mises à nu, des présumées magouilles, il y a ceux qui confectionnent des masques, offrent du gel hydro-alcoolique et ceux qui organisent la chaine de solidarité sans rien attendre en retour. Dans ce lot, émerge Mouhammadou Falillou Ndiaye, un développeur informatique vivant à la Cité des Eaux et qui veut apporter sa pierre à l’édifice.
Agé de 25 ans, il a aujourd’hui le mérite d’avoir cherché et obtenu le code source de l’application ‘’TraceTogether’’. De ce fait, il intéresse les autorités sénégalaises, particulièrement le ministre de l’Intérieur Aly Ngouille Ndiaye qui a demandé à le rencontrer, hier. ‘’J’ai créé une application dont j’ai tiré le code source à Singapour. Là-bas, ils l’ont déjà conçu et elle permet de détecter les personnes susceptibles d’avoir le coronavirus et en même temps toutes les personnes avec lesquelles le patient a été en contact. Une fois téléchargée, l’application peut vous alerter sur le risque de contamination via la connexion Bluetooth, sur une distance de 2 m. Elle est déjà utilisée à Singapour où elle a fait des exploits dans le cadre de la gestion de la pandémie. Alors, je me suis dit pourquoi pas au Sénégal ? Actuellement, j’ai terminé la version Android en l’adaptant au contexte sénégalais. Il me reste la dernière partie de la procédure. J’en ai parlé à des membres du gouvernement et ils semblent vraiment intéressés par cette découverte’’, lance-t-il enthousiaste.
En effet, TraceTogether est une application de traçage de personnes sans géolocalisation automatique par GPS ; seulement les points de contacts avec d’autres individus sont pris en compte. Elle enregistre le contact des personnes croisées directement dans l’appareil pour retracer la circulation du virus. En cas de symptômes ou de test positif à la Covid-19, l’utilisateur se signale et l’application prévient tous les contacts croisés les jours précédents. Un fonctionnement plus proche du respect de la vie privée, car les données ne sont pas stockées dans un fichier centralisé et ne sont conservées que pour une durée déterminée et communiquées seulement si nécessaire.
Dans la soirée d’hier, le ministre de la Santé et de l’Action sociale a d’ailleurs validé l’utilisation de cette application qui se fera, dès les semaines à venir. Abdoulaye Diouf Sarr révèle qu’un test a été effectué avec le premier cas recensé à Louga et les résultats ont montré qu’il a été contaminé à Pikine. Une expérience qui peut s’avérer salutaire dans la gestion des cas communautaires.
Un ensemble de plusieurs de paramètres indispensables
A Singapour, le système n'utilise que des numéros de téléphone et des identifiants temporaires chiffrés dont seul le ministère de la Santé a la clé. En d’autres termes, les données sont conservées pendant 21 jours, protégées avec une clé de sécurité que seul le ministère de la Santé peut décrypter. Ainsi, les personnes alertées par message savent seulement qu’elles ont été en contact avec une personne infectée, où exactement, mais pas de qui il s’agit. La France prépare son application ‘’Stop Covid’’, d’après ce modèle, mais aussi l’Allemagne, le Chili, les États-Unis et la Nouvelle-Zélande qui s’en sont ainsi servis pour développer leur propre application nationale.
Toutefois, bien que protégeant les données personnelles des utilisateurs, le développeur sénégalais va devoir travailler à ce qu’effectivement les informations personnelles, comme des numéros ou photos, restent protégées. Le but étant de remonter la chaîne d’infection, d’identifier le plus vite possible tous ceux qui ont pu être touchés. TraceTogether peut être une solution en gain de temps, mais elle se heurte au taux de connectivité de la population.
Selon les autorités du pays, pour que ça fonctionne, il faut qu’au moins 60 à 70 % de la population soit équipée. Or, même à Singapour, la ville ultra connectée avec une culture digitale très forte et un taux de possession de téléphones portables très élevé, le gouvernement annonce un peu plus d’un million de téléchargements, pour une population d’environ six millions d’habitants. Par ailleurs, en parallèle à cette application lancée le 20 mars 2020, le pays a mis en place un dépistage massif, reconnaissant que ‘’la technologie ne fait pas tout’’. Environ 1 personne sur 77 a été testée, contre 1 sur 200 en France.
Au final, la propagation du virus est pour l’heure bien maîtrisée, malgré une forte densité de la population, et le taux de mortalité est resté bien plus faible qu’en France. Un bilan positif qui suscite beaucoup d’espoir chez Fallou.
EMMANUELLA MARAME FAYE