Publié le 21 Apr 2020 - 21:39
SENELEC

Complot, magouilles et trahison  Les vrais dessous d’une affaire à milliards

 

Le Syndicat unique des travailleurs de l’électricité (Sutelec) affilié à l’Union nationale des syndicats du Sénégal (Unsas) s’est fendu d’un communiqué au vitriol pour s’attaquer au contrat liant la start-up Akilee à la Société nationale d’électricité (Senelec). ‘’EnQuête’’ a tenté d’en savoir plus sur cette affaire qui cache plus qu’elle n’en révèle. Le directeur général, Mademba Bitèye, est au cœur des manœuvres qui, selon nos informations, visent plus à défendre des intérêts cachés qu’à restaurer une transparence trahie.  

 

Pour le Sutelec, ‘’ce gré à gré (NDLR, avec Akilee) qui ne dit pas son nom, signé sur une période de 10 ans à l’encontre des intérêts de la Senelec, risque de compromettre tous les efforts déployés jusqu’ici, pour assurer la continuité du service public de l’électricité’’. Le syndicat, rendu célèbre par Mademba Sock depuis son fameux bras de fer avec le régime socialiste, à la fin des années 90, indique qu’il ‘’n’a cessé d’alerter les autorités sur la nécessité de faire la lumière sur ce contrat, entre autres. De la rencontre avec Monsieur le Directeur général en mars 2019 au séminaire de Saly tenu en mai 2019, en passant par la journée d’échanges avec le Comdir’’.

Remettant ‘’en cause l’expertise d’Akilee sur le domaine de l’électricité, notamment l’exploitation commerciale’’, ‘’la pertinence et l’opportunité du contrat, si on sait que Senelec, en interne, regorge de compétences aptes à faire le travail confié à Akilee’’, ‘’le respect des procédures en matière de passation de marchés’’, entre autres, Sutelec lance ‘’un appel à tous les patriotes en général et aux travailleurs de Senelec en particulier, pour faire bloc et ainsi barrer la route à ces déprédateurs’’. Il ‘’encourage la Direction générale de Senelec à utiliser les voies et moyens juridiques pour rompre ce contrat scandaleux’’.

Deux syndicats-maison s’étonnent de la tournure des évènements

Mais tous les syndicalistes de Senelec n’ont pas la même position sur la question. Le son de cloche est même radicalement différent, lorsqu’on s’éloigne de la cour du directeur général Bitèye.

Interrogé par ‘’EnQuête’’, Matar Sarr, Secrétaire général du Syndicat national des travailleurs de l’électricité du Sénégal (Syntes), affilié à la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal (CNTS) de Mody Guiro, livre sa part de vérité. ‘’Ce qui est constant, indique-t-il, pour participer au capital, un mémo a été fait à l’attention du directeur général par quatre directeurs d’unité, à la date du 27 février 2017’’. Et de les citer : ‘’Il s’agit de Moussa Dièye, à l’époque Directeur des Systèmes d’information de Senelec ; Falilou Sèye, Directeur commercial et de la Clientèle ; Alioune Ibrahima Bâ, Directeur financier et comptable et Fora Lô, Directeur des Affaires juridiques.’’

Pour lui, ce mémo a été précédé d’un autre sur l’évaluation de la valeur du système d’information proposé par Akilee et suivi d’un autre. Et c’est Moussa Dièye qui en était l’auteur. L’actuel directeur général Bitèye était lui-même présent au conseil d’administration qui a validé la création d’Akilee et la signature du contrat avec Senelec.

Que s’est-il passé pour qu’un contrat qui avait été jugé bénéfique pour Senelec, se mue en un ‘’festin’’ au seul privilège d’Akilee ?

C’est qu’entre-temps, un nouveau directeur général s’est installé à la place de Mouhamadou Makhtar Cissé et surtout, l’auteur des fameux mémos est propulsé secrétaire général de Senelec. C’est alors que le discours change. Le secrétaire général de Syntes s’en étonne d’ailleurs. ‘’En tant que syndicaliste, ce qui m’étonne, c’est la position versatile de celui qui était le directeur des Systèmes d’information. C’est lui qui avait fait l’évaluation du contrat’’, précisément dans sa partie la plus technique, à savoir le Système d’informatique analytique, plus connu sous le sigle SIA par les connaisseurs.

Souleymane Souaré, Secrétaire général du Syndicat autonome des travailleurs de l’électricité (Satel) ne dit pas autre chose, lorsqu’il s’étonne du fait qu’un contrat, qui était apprécié par les mêmes cadres, les mêmes syndicalistes et les mêmes membres du Conseil d’administration, passe subitement de blanc à noir.

Les dessous obscurs d’une affaire à milliards

Pourquoi cette subite métamorphose ? Pour comprendre, il faut suivre la trace de l’argent. Ou encore des compteurs. Si, en effet, le contrat entre Senelec et Akilee pour le déploiement d’un système de comptage intelligent est devenu un feuilleton public, c’est parce que, renseignent nos sources, il y a une volonté cachée de faire passer un contrat de gré en gré que le directeur général de Senelec est en train de signer avec la société israélienne Powercom de Yackov Dar pour la fourniture de compteurs intelligents ; faisant fi du contrat de déploiement et d’exploitation d’un système de comptage intelligent. Ce qui lui a valu de recevoir une mise en demeure de la part d’Akilee pour violation de ses droits, contrairement à ce qu’il a annoncé aux syndicats, prétendant que c’est la défaillance d’Akilee qui l’aurait poussé à aller voir les Israéliens. Comment Akilee pourrait-elle être défaillante, alors qu’elle a respecté toutes ses obligations jusqu’ici ?

Bitèye reproche à Akilee, selon lui, de ne pas avoir respecté le Code des marchés publics. Mais il semble que cette exigence n’est valable que pour Akilee. Puisque sur le dossier des Israéliens, il a remué ciel et terre en trompant son ami Ibrahima Guèye, Directeur de la DCMP, avec qui il déjeune tous les jours depuis au moins 10 ans, pour obtenir de lui un avis de non objection autorisant la signature en entente directe. Soit un marché de gré à gré de 2,2 milliards de F CFA avec une société dans laquelle Senelec n’a aucun intérêt.

Mais que cache donc ce marché ? Pourquoi donc Bitèye veut-il absolument signer ce contrat ? De sources sûres, nous avons appris que ce marché présente une surfacturation de 1 milliard de F CFA, comparé au marché avec Akilee. Ce milliard devient une surfacturation de 72 milliards, si on se ramène aux 10 ans.

Pourquoi n’est-il pas si prompt à mobiliser la même énergie que celle qu’il a développée pour signer un contrat de 36 milliards avec Excellec en entente directe, autre filiale de Senelec où elle n’a que 30 %, grâce, nous dit-on, à l’intervention de Mahammed Boun Abdallah Dionne ? Pourquoi ne met-il pas la même énergie que celle déployée pour signer avec ABB Technologies un contrat en entente directe pour des turbocompresseurs, nous dit-on, retoqué par l’ARMP ?

Questions dont les réponses coulent de source.

A suivre !

Interrogations sur les motivations du DG de Senelec

Depuis un certain temps, nous assistons à un débat par presse interposée sur un contrat qui lie Senelec et Akilee. Et c’est vraiment pour s’en désoler que je me dois de donner mon opinion sur cette question en tant que responsable syndical à Senelec. En effet, je pensais que Senelec était sortie des ornières et des difficultés. Je voudrais rappeler que depuis presque 4 ans, Senelec avait commencé à habituer la population au visage d’une société bien gérée avec une performance retrouvée, qui reste à améliorer néanmoins. La trajectoire que la société avait prise était l’une des plus rassurantes parce que beaucoup de choses qu’on pouvait déplorer sur la qualité de service avaient été réglées. Mais, aujourd’hui, je pense que pour comprendre ce débat qui est autour de ce fameux conflit entre Senelec, à vrai dire le nouveau management plutôt que Senelec, et Akilee, il faut revisiter le contexte dans lequel Akilee est arrivée à Senelec et que Senelec a pris la décision de prendre une participation de 34% dans son capital. Dès le départ Akilee s’est positionnée pour l’accompagnement des clients dans la maîtrise de leurs factures et de Senelec dans sa démarche d’innovation, induite par la digitalisation qui est devenue inévitable car toutes les sociétés d’énergie du monde s’inscrivent dans cette logique ; en particulier en ce qui concerne leurs systèmes de comptage qu’ils transforment en systèmes intelligents.

Le problème que Senelec a toujours eu par le passé était la sécurisation de son approvisionnement en compteurs. On a essayé de régler cette question avec la mise en place de Simelec, qui était une entreprise dans laquelle Senelec détenait également 34% et qui avait l’exclusivité d’approvisionner Senelec en compteurs pendant 10 ans. Mais le constat est que cette société, malgré son exclusivité, n’a jamais été en mesure d’approvisionner Senelec en qualité et en quantité. Et j’en veux pour preuve la rupture de presque 2 ans de compteurs triphasés qui représentent le deuxième segment le plus important des clients de Senelec. Chemin faisant avec le plan de restructuration et de relance du secteur de l’énergie, Senelec s’est orientée vers les compteurs prépayés, Simelec n’a jamais su prendre ce virage qu’ils n’avaient pas anticipé, malgré les nombreux appuis de Senelec qui a dû se résoudre à repasser par des appels d’offres. Là aussi Senelec a toujours connu des problèmes d’approvisionnements de compteurs.

Après de multiples péripéties liées à l’introduction de ces compteurs, Senelec a fini par stabiliser ses spécifications techniques et lancé un important appel d’offres pour l’acquisition de 260.000 compteurs. Appel d’offres qui a vu deux sociétés chinoises Hexing, qui domine le parc actuel de Senelec, et Clou, conseillées chacune par des cadres à l’intérieur et à l’extérieur de Senelec, se lancer dans une bataille de marché. Ce qui a bloqué l’attribution de ce marché, mettant ainsi Senelec dans une situation très difficile avec une rupture prolongée et sévère en compteurs. Tout ceci avec le soutien de personnes qui sont à l’intérieur de Senelec qui visiblement faisaient le travail pour le compte de ces deux sociétés plutôt que pour défendre les intérêts de Senelec.

C’est fort de cela que la direction générale d’alors, dirigée par l’actuel ministre Mouhamadou Makhtar Cissé, a pris la décision de passer par la filiale Akilee avec qui Senelec a signé une convention réglementée comme ce fut le cas avec Simelec. Akilee a pris en charge l’approvisionnement des compteurs. Le constat honnête de tout Senelecois, notamment au Commercial, est que dès que Akilee a commencé à assurer l’approvisionnement des compteurs Senelec n’a plus connu de ruptures, les délais de livraison des compteurs ont été diminués drastiquement de 1 (un) an à 3 (trois) mois et les coûts des compteurs ont baissé avec des économies de 1,5 milliard FCFA alors qu’Akilee travaillent avec les mêmes fournisseurs qu’avant avec les mêmes spécifications techniques. Toutes choses, aujourd’hui, qui permettent de constater le rôle que Akilee a pu jouer dans la stratégie que Senelec avait mise en place.

Fort de ces constats et des nouvelles orientations stratégiques, imposées par la dynamique du secteur que j’évoquais, Senelec a décidé de généraliser un système de comptage intelligent dans l’optique d’améliorer encore la qualité de service et de lutter contre le fléau quasi-chronique des pertes. Ainsi, Akilee qui s’est positionnée pour les services énergétiques innovants a structuré le projet de déploiement et d’exploitation du système de comptage intelligent et signé un contrat de 10 ans après 2 ans de négociation avec Senelec. L’objectif stratégique étant clairement, au-delà de la performance interne de Senelec et de la qualité de service, de bâtir un champion régional qui va prendre de l’avance et se déployer dans la sous-région pour diversifier les revenus de Senelec, parce que je le répète ces systèmes seront incontournables pour tout le monde.

Le constat amer qui est fait aujourd’hui, c’est que Senelec, ayant réglé ces problèmes d’approvisionnement par le passé, est en train de revenir à un système d’approvisionnement avec des sociétés, dans lesquels elle n’a aucun intérêt, dont on ne connait ni la référence ni l’origine, et qui n’ont donné aucune garantie de pouvoir donner des satisfactions sur le plan technique et sur le plan commercial à Senelec. Ce qui est encore plus grave, on a l’impression que des gens à l’intérieur ou à l’extérieur de Senelec travaillent pour que Senelec ne sorte jamais de ces difficultés, en réclamant la rupture de la clause d’exclusivité avec Akilee afin de pouvoir reprendre le contrôle des commandes et donc des marchés avec tout ce qu’on sait des manœuvres qu’il y a autour. Senelec risque de revenir dans des eaux troubles en ce qui concerne son approvisionnement en compteurs.

Or, il faut relever que la collaboration qui lie Senelec et Akilee du point de vue de la distribution ne souffre d’aucun problème. Bien au contraire la Direction de la Distribution est très fière de disposer aujourd’hui d’un logiciel développé par Akilee, appelé SmartSEN, qui leur facilite la vie en tant qu’exploitant et fait gagner beaucoup d’argent à Senelec. En 2019, rien qu’à Dakar c’est 1 milliard de FCFA d’économies qui ont été réalisées ; ces chiffres ne viennent pas d’Akilee c’est Senelec elle-même qui les a évalués. Il y a donc lieu de se féliciter de la qualité de cette collaboration avec Akilee qui nous démontre chaque fois sa compétence et sa rigueur.

La question, donc, c’est pourquoi, pour quel intérêt, la nouvelle direction générale veut coûte que coûte remettre en question cette collaboration dans laquelle Senelec est doublement bénéficiaire parce qu’étant actionnaire à 34%  et bénéficiant de facilités sur tous les modalités de paiement avec des solutions de financement mobilisées par Akilee elle-même, notamment sur ce projet de système de comptage intelligent Akilee offre à Senelec un différé d’un an et d’un remboursement sur 4 ans au total.  Pour ceux qui savent que Senelec a toujours eu des problèmes de trésorerie. J’entends parler de la garantie offerte à Akilee, mais je me suis demandé si les gens sont conscients et s’écoutent parler avant de sortir. Qui peut emprunter aujourd’hui de l’argent sans fournir de garantie ? Qui ? Que ce soit pour une maison, pour un projet d’entreprise, pour n’importe quelle chose vous devez garantir le paiement sinon vous ne serez pas financés. Voilà autant de questions qui méritent d’être posées sur la table et pour lesquelles les partenaires sociaux ont besoin de réponses.

Je voudrais également rappeler que le projet de déploiement du système de comptage intelligent avec Akilee a été présenté aux partenaires sociaux dans le cadre d’un comité de direction élargi, puis dans le cadre d’un atelier de 4 jours tenu à Saly avec l’ensemble des partenaires sociaux. Les seules réserves que les partenaires sociaux avaient émises portaient sur les garanties de la pérennité des emplois qui pourraient être impactés par le déploiement d’un tel système intelligent. C’est dans cette période que la nouvelle direction générale est arrivée et n’a jamais pu donner aux partenaires sociaux ces garanties-là. Aujourd’hui, donc si ce problème est mis sur la place publique, la question que toute personne doit se poser c’est qui en a l’intérêt.

Voilà, je pense des questions qui méritent d’être posées et auxquelles des réponses doivent être données, parce qu’il est temps que la société s’installe dans la performance durable et qu’on évite d’installer à nouveau l’instabilité qui produira à coup sûr des situations difficiles avec nos clients. Nous devons à jamais nous inscrire dans une logique de performance, dans une logique de productivité, si nous voulons amener Senelec là où les autorités de ce pays attendent Senelec.

Souleymane Souaré

Secrétaire général du Syndicat autonome des travailleurs de l’électricité (Satel)

 

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