DECOUVERTE BARMATHIAL
Les émigrés prennent la place de l’Etat
Dépourvu presque de tout, le village de Barmathial, à environ 40 km de Matam, étrenne de plus en plus d’infrastructures dans les domaines de la Santé, de l'Education, de l'Agriculture, entre autres, grâce au dynamisme de ces enfants vivant à l’étranger.
Barmathial, dans les profondeurs de la région de Matam, à 700 km de Dakar, sort peu à peu des ténèbres, s’engouffrant de plus en plus dans la lumière. Ici, l’Etat est quasi absent. A sa place, il y a plutôt de dignes enfants du hameau établis à l’étranger, qui n’hésitent pas à mettre la main à la poche, pour doter le village d’un minimum d’infrastructures et de conforts.
Situé entre les villages de Hordolndé et Ngano (origine du footballeur Kalidou Koulibaly), Barmathial éprouve de réelles difficultés en matière d’infrastructures. Les rares qui y existent ont été réalisées grâce aux enfants du village vivant à l’étranger, particulièrement Birame Sarr, un ancien cadre de Renault. Cela va de l’école à la case de santé, en passant par le marché. Même l’infirmier qui dispense des soins est pris en charge par les enfants du hameau. Ancien émigré en Côte d’ivoire, Alassane Sarr témoigne : ‘’Je pense que l’Etat devrait assurer la santé à tous ses citoyens. Mais chez nous, il est introuvable. Nous avons-nous-mêmes construit la case de santé. Après cela, nous espérions que l’Etat va au moins mettre à notre disposition un personnel et le prendre en charge. Ce qui n’a pas été fait. C’est nous-mêmes, grâce à nos enfants, qui avons recruté et payons intégralement l’infirmier. Pour son repas, c’est Birame qui s’en charge. Les services du ministère nous ont juste envoyé le matériel.’’
Dans ce hameau de plus de 300 habitants, presque toutes les infrastructures portent la marque des émigrés. A la suite de la case de santé, nous avons été conduit dans l’unique établissement scolaire qui a couté 11 millions FCFA. Le chef du village, Samba Ousseynou Sarr, raconte avec beaucoup de fierté : ‘’Nous avions senti à un moment le besoin d’avoir une école pour nos enfants. Alors nous nous sommes concertés puis avons décidé de construire l’école sans attendre l’Etat. Les fils du village qui sont à l’étranger ont mis la main à la poche et par le biais de Birame Sarr qui a fait jouer ses relations en France, la construction de notre école a été achevée assez rapidement.’’
Contrairement à la case de santé, pour l’école, le ministère de l’Education a au moins daigné mettre à la disposition des braves citoyens le personnel qu’il faut pour cet établissement de 5 classes pour 6 cours entièrement construites par les villageois et leurs amis. ‘’Quand nous avons terminé, précise le chef de village, nous avons demandé au ministre de nous envoyer des enseignants et finalement ils ont accédé à notre demande.’’ Mais afin de motiver ce personnel, les émigrés du village se sont encore mobilisés pour leur construire des logements, dans le but de les décharger du loyer.
Aujourd’hui, le principal obstacle qui rend la vie difficile reste l’enclavement. Pour rallier Matam distant d’environ 40 km, il ne faut pas rater le seul ‘’horaire’’ qui dessert la zone. La voiture ramasse les clients le matin et les ramène dans l’après-midi. ‘’Si vous ratez cette voiture, la seule option qu’il vous restera sera de patienter jusqu’au lendemain ou bien de casquer fort en prenant une voiture en location.’’
Pour les villageois, c’est à se demander si leur patelin fait partie du Sénégal, si leurs enfants ont les mêmes droits que ceux des autres localités, s’ils sont des citoyens à part entière ? ‘’Le président de la République, lors de sa dernière visite en 2021, rappellent nos interlocuteurs, avait annoncé la réhabilitation de la route qui traverse le village. Mais depuis lors, on a rien vu. A cause de l’état cahoteux de cette route, les déplacements vers les zones urbaines sont très compliqués. Malheureusement, pour la construction de telles infrastructures, nous sommes impuissants. Seul l’Etat peut nous aider.’’
Pour aller à Barmathial, il faut passer par la fameuse route du Dandé Mayoo dont les travaux ont timidement démarré. En période d’hivernage, cette route est un calvaire pour les voyageurs, avec des secousses interminables qui font un mal fou au corps. Sur la route, on peut voir défiler les villages de Nawel, Thiemping (village d’origine du footballeur Mamadou Niang), Odobéré, Thialy. Dans cette partie du vieux Fouta, tout semble à faire. L’émergence n’est qu’un mot creux. Mais le village garde une certaine originalité et une population très fière et dévouée à la cause de son village, prête à tous les sacrifices pour améliorer leur cadre de vie.
Créé en 1993, les populations vivent essentiellement de l’agriculture et de l’élevage, en sus des transferts des migrants. Dans ce domaine agricole également, l’impact des émigrés a été déterminant. Afin de pouvoir cultiver pendant la saison sèche, ils se sont payés dans un premier temps une motopompe 2 cylindres à plus de 8 millions FCFA pour avoir l’eau du fleuve. Malheureusement, la distance qui sépare le village du fleuve a fait foirer le projet. Sans se décourager, les enfants du village ont décidé de creuser un mini forage pour se débarrasser des problèmes d’eau. Ceci leur a coûté 7 millions de FCFA. Ils interpellent les pouvoir publics pour booster leurs rendements. ‘’Ici, les gens aiment l’agriculture. Si L’Etat avait mis à notre disposition des machines, nous produirions des quantités record.’’
Cet article a été réalisé avec le soutien d’Article 19 et l’UNESCO, dans le cadre du Projet ‘’Autonomiser les jeunes en Afrique à travers les médias et la communication’’, financé par l’agence italienne pour la coopération au développement, via le Fonds Afrique du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale.
DJIBRIL BA
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