Publié le 18 Dec 2024 - 20:49
POLÉMIQUE AUTOUR DE LA VENTE DE LA FRIPERIE

À Colobane, les acteurs portent mal l'idée du ministère

 

S’exprimant lors d’une rencontre organisée par la coopération allemande avec des entrepreneurs du secteur privé financés dans le cadre de l’Invest For Job, le ministre du Commerce avait présenté un ambitieux projet de redynamiser l'industrie sénégalaise dans son ensemble. Parmi les réformes évoquées, figure la fin de la friperie au bénéfice d'une industrie textile qui va habiller les Sénégalais.

 

Qui dit Colobane pense automatiquement à la friperie. Récemment, le ministre du Commerce lui-même a évoqué ce secteur qui emploie bon nombre de Sénégalais en parlant de sa suppression progressive. Même si Serigne Guèye Diop ambitionne de substituer de façon graduelle le ‘’fëg jaay’’, a du tout neuf, c'est-à-dire une industrie textile forte, les acteurs ne semblent pas prêts à porter ce qui peut être considéré comme une veste retournée.

Dans cette partie de la commune de Gueule Tapée-Fass-Colobane, on se croirait dans un gigantesque dédale, des passages étroits séparent les différents commerces. Les tourbillons et bousculades sont monnaie courante dans cette exiguïté sans nom. Mais c'est le prix à payer pour atteindre la boutique d’Assane Ndom. L’originaire de Louga de type mésomorphe commercialise tout ce qui est polo, tee-shirt et autres chemises. Là, les grandes marques qui auraient poussé un client quelconque à casser sa tirelire s'acquièrent à des coûts défiant toute concurrence. “Je suis de ceux qui pensent que le ministre s'est trompé. On ne peut pas mettre la charrue avant les bœufs. Même si l'idée est bonne, il y a beaucoup de conditions préalables qu'on ne remplit pas encore au Sénégal”.

Selon ce vendeur, même si dans le fond l'objectif du ministre paraît louable, il est quasiment impossible de remplacer un secteur aussi généreux en emplois. “Je suis dans cette activité depuis plus de dix ans. Depuis lors, des milliers sont venus agrandir le secteur. Pour que ces pères, mères et soutiens de famille en viennent à déserter le ‘fëgg jaay’, l'opportunité de rechange devrait en valoir la chandelle”.

Dans le circuit de la friperie, le détaillant et le client constituent les dernières étapes du circuit. C'est ce qu'essaie d'expliquer Serigne Ndiaye. Teint noir, le bonhomme frôlerait les 2 m d’envergure. “Ce que le ministre ignore peut-être, c'est la complexité de l'univers du ‘fëgg jaay’. On voit certes le vendeur qui conclut une transaction avec un client quelconque. Mais derrière, il y a les importateurs, les grossistes, etc. Il ne faudrait pas décréter la mise à mort d'un secteur qui fait vivre beaucoup plus d'individus que l'on ne le pense”.

Le vendeur doit son existence à l'acheteur. Moussa est répétiteur à ses heures perdues, un jean noir sur l'épaule et un autre bleu dans sa main droite, il est en pleines négociations pour apporter du sang neuf à sa garde-robe. Pour cet homme presque glabre, il faut avant tout conserver l'aspect bon marché du secteur. “On espère juste qu'avant d'en arriver à ce stade, nous pourrons disposer de vêtements qui revêtent une certaine qualité qui nous poussera à devenir dispendieux sur le marché. Car c'est ça la force du ‘fëgg jaay’, ce n’est relativement pas cher et qualitativement, le compte y est également”.

De leur côté, l’Union nationale des consommateurs du Sénégal (UNCS) et le Réseau des usagers du service public (RUSP) se félicitent, encouragent le ministre de l’Industrie et du Commerce pour son engagement à relancer l’industrie textile et toutes les activités connexes liées au secteur’’, indiquent-ils dans un communiqué conjoint.

Dans cette missive, l’UNCS et le RUSP apprécient favorablement cette volonté du ministre de l’Industrie et du Commerce, estimant que les 30 milliards de francs CFA que coûtent les importations d’habits peuvent être investis dans le secteur de l’habillement local qui fait ‘’vivre des milliers de personnes dans les ateliers de confection à travers tout le pays’’.

Toutefois, ces organisations consuméristes demandent que ‘’cette interdiction annoncée des importations de friperies se fasse progressivement et accompagnée d’une large campagne de communication, en raison des habitudes vestimentaires ancrées dans le quotidien du consommateur sénégalais’’.

Le démenti de la tutelle

À ce moment de la journée peu soleilleuse, l'activité continuait d'être toujours aussi soutenue dans la capitale de la seconde main. Les vendeurs cherchent désespérément à appâter les acheteurs dans leurs filets marchands. Pour la dernière grosse affaire de ce début de semaine, c'était le moment ou jamais.

Mais pendant que la polémique enfle et que les commentaires vont bon train, pour désamorcer cette “bombe”, le ministre du Commerce sort un communiqué. Celui-ci parle d'une “mauvaise interprétation de l'annonce du ministère”.

Mais dans le fond, Serigne Guèye Diop ne retourne pas réellement sa veste. Toujours est-il que la tutelle tient à apporter des éclaircissements, à la suite des “informations erronées qui circulent concernant l’interdiction de l’importation de vêtements de seconde main dits ‘fëgg jay’ au Sénégal”.

Selon les services de Serigne Guèye Diop, il ne s'agit en aucun cas d'une “mesure immédiate ou d'une interdiction brutale”, comme cela a été interprété. Le document ministériel explique que la décision annoncée fait partie d'un programme “à moyen et long terme visant à soutenir et développer le secteur textile local, en encourageant la production nationale et la création d’emplois dans ce secteur clé de notre économie”.

Selon le ministère du Commerce, “loin d'être immédiate, cette mesure sera implémentée après la réouverture des usines textiles et la mise en activité de sites de production visant à valoriser la filière coton de sa production à sa transformation dans le but d’encourager le consommer local et de renforcer le secteur du vêtement local”.

Enfin, pour rassurer tout le monde le ministère se dit “pleinement conscient de l’importance des vêtements de seconde main pour de nombreuses familles sénégalaises et pour une grande partie de la population qui y trouve un moyen de subsistance”.

En ce sens, selon lui toujours, “la mesure ne vise en aucun cas à pénaliser ou à mettre en difficulté les acteurs économiques et les consommateurs”.

 

Mamadou Diop

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